Il y a une semaine, Emmanuel Macron prenait la parole pour annoncer plusieurs mesures contre la propagation du Coronavirus, parmi lesquelles la fermeture de tous les établissements d’enseignement en France. Si certaines écoles avaient senti le vent tourner, d’autres, en revanche, ont dû s’organiser rapidement pour proposer des solutions de continuité pédagogique pour les étudiants.
Certains établissements n’avaient pas attendu les annonces officielles pour fermer leur établissement. C’est notamment le cas de Rennes SB ou de Grenoble EM. Mais l’organisation d’une telle crise ne se limite pas seulement à la fermeture d’établissements. Et les problèmes ne font que commencer.
COVID19 : un avantage tactique pour certaines écoles
Plusieurs établissements avaient déjà senti le vent tourner dès le mois de janvier, quand l’épidémie a commencé. C’est notamment le cas des business schools qui possédaient un campus ou des étudiants présents sur le territoire chinois, à l’instar de SKEMA. L’école a connu la crise dès la mi-janvier, lorsqu’il fallait fermer un campus qui accueille plus de 500 étudiants et délivre une dizaine de diplômes. « Nous avons offert la possibilité aux élèves qui le souhaitaient de revenir en France, mais une bonne centaine a préféré rester sur place. Depuis plusieurs semaines, nous leur délivrons l’intégralité des cours en ligne, sous format synchrone ou asynchrone », explique Patrice Houdayer, Vice Dean de SKEMA. Si la gestion des problématiques liées au Coronavirus au sein de cette école a été largement décriée par certains étudiants, elle aura permis à l’établissement d’être prêt au confinement décrété ces derniers jours.
Globalement, les Grandes Écoles à forte empreinte internationale se sont organisées relativement tôt face à la crise. ESCP Business School a très vite été obligée de prendre les devants suite à la propagation du virus en Italie, puisque l’établissement possède un campus à Turin. « Nous avons dû réagir dès le 15 février. Rapidement, le personnel et les élèves ont été placés en confinement et nous avons déployé des solutions de cours en ligne, ce qui nous a aidés à imaginer l’extension de ce modèle pour le reste de nos campus. Dès le 20 février, ESCP a mis en place sa cellule de crise qui nous a permis de gérer la fermeture du campus de Madrid, puis ceux de Berlin et de Varsovie avant de fermer celui de Paris », commente Frank Bournois, Dean d’ESCP BS.
D’autres établissements ont simplement senti, dès le début, que la crise allait être grave. Il faut dire que, si les écoles n’ont pas toutes des campus à l’international, plusieurs de leurs étudiants étaient présents en Chine – pour des stages ou des échanges académiques –, lors des prémices de l’épidémie. « Depuis un mois, nous sentions que le sujet prenait de l’importance, notamment en échangeant avec nos partenaires chinois et italiens. Nous avions également le cas d’un étudiant de l’Oise qui n’était pas malade, mais devait rester confiné. Nous avons donc établi plusieurs plans d’action adaptés à la situation avant de décider de ne plus être dans la réaction, mais de devenir proactifs. Nous avons constitué une cellule de crise qui couvre toutes les activités de l’école. Au début, elle se réunissait une fois par semaine, aujourd’hui, elle se réunit tous les jours, mais elle nous a permis de travailler sur la continuité d’activité », décrit Jean-Christophe Hauguel, DG d’ISC Paris.
NEOMA BS a également mis en place une cellule de crise dès les prémices de la crise. « Dès janvier, il fallait prendre les premières mesures pour faire rentrer nos étudiants de Chine. Nous avions mis en place une cellule de suivi qui se réunissait régulièrement pour s’assurer que les bonnes décisions sont prises et décider des urgences. Notre rôle est d’anticiper et, au fil des semaines, nous avons travaillé sur un plan de continuité d’activité. Nos équipes étaient prêtes à réagir à la moindre annonce », explique Benoît Anger, Associate Dean Corporate Development & Communication de l’école.
Elian Pilvin, DG d’EM Normandie, avait également pris en main la situation, dès le mois de janvier. « Nous avons été alertés de la situation dès qu’il y a eu l’apparition des premiers cas, autour du 26 décembre. Nous avons ouvert une cellule de crise qui se réunit régulièrement depuis le 6 janvier, date à laquelle il a fallu adapter les plannings académiques en fonction des rapatriements. »
Une certaine expérience dans la gestion de crise
Étonnement, un des facteurs qui a permis aux Grandes Écoles d’affronter les mesures prises contre la propagation du Coronavirus est la grève. En effet, certaines d’entre elles avaient déjà dû mettre en place des mesures de continuité pédagogique lors des grèves contre la réforme de la retraite. Le réseau de transports très impacté avait empêché certains élèves de se rendre en cours. Cet événement avait poussé l’ESIEA à trouver des moyens de pallier l’absence de ses étudiants pour dispenser des TP qui nécessitaient une présence physique et l’utilisation d’un matériel de pointe. C’est également le cas de l’ECE. L’école s’était convertie à Zoom lors des mouvements de décembre et janvier.
L’EBI était également préparée à cette éventualité. La Directrice et fondatrice de l’école, Florence Dufour, évoque avoir établi un plan de continuité d’activité dès l’épidémie de grippe H1N1 qui avait frappé la planète en 2009, une décision qui aura servi à l’école en 2014. « Suite à un sinistre de notre bâtiment, nous avons dû déménager rapidement cette année-là et nous avons mis en application notre plan de continuité d’activité. Cette expérience a simplifié les échanges avec le personnel et les étudiants. Nous avons désormais une certaine culture de la gestion de crise. »
Du côté d’Audencia, la présence d’un campus en Chine n’est pas ce qui a permis à l’école d’être prête à affronter cette crise sanitaire. En effet, lors de l’apparition des premiers cas de personnes contaminées par le Coronavirus, l’établissement était fermé pour les fêtes du Nouvel An chinois. Les premiers étudiants débarquent souvent après ces festivités.
Ce qui a permis à l’école d’anticiper les mesures prises par le gouvernement, c’est avant tout l’épidémie de SRAS de 2003. « Dans ce cadre, nous avions formalisé un plan de continuité de l’activité. Depuis deux semaines, nous avons amendé ce plan, de sorte à ne pas être pris de cours, car nous pressentions les différentes annonces faites lors de la première allocution présidentielle. Cependant, même si nous nous attendions à la fermeture des établissements, nous avons été surpris par les informations communiquées par Emmanuel Macron, dans la mesure où nous recevions, au même moment, des consignes du ministère nous indiquant de maintenir notre activité en présentiel. Nous avions énormément de pression de la part des étudiants, depuis plusieurs semaines, et surtout des internationaux qui me sollicitaient pour me demander de fermer les campus. Mais, avant ces annonces, ma position s’alignait sur les consignes ministérielles », indique Christophe Germain, DG de l’école.
« Tout le monde a été pris de court »
De nombreuses écoles étaient prêtes à passer au tout digital, tant sur le volet pédagogique que sur les questions de télétravail. En effet, nombre d’entre elles avaient inscrit leur volonté de miser encore plus sur le numérique dans leur plan stratégique. Plusieurs établissements avaient également pressenti de potentielles fermetures de campus, à l’image de GEM, Rennes SB ou emlyon. Mais les consignes du ministère et l’absence d’intervention officielle avaient poussé une majeure partie des Grandes Écoles à penser qu’elles auraient peut-être quelques jours de répit.
Peu importe le degré de préparation, un directeur d’école confie en off : « Tout le monde a été pris de court. » Certaines écoles ont plus rebondi que d’autres en fermant leur campus dès le lendemain des annonces d’Emmanuel Macron et en proposant des cours à distance depuis le 16 mars. D’autres, en revanche, prennent plus de temps, pour s’assurer d’offrir aux étudiants la meilleure alternative possible aux cours en présentiel. Ainsi, de nombreux établissements ont décidé de fermer cette semaine et de rouvrir le 23 mars, le temps de finaliser leur solution online.
Une incertitude demeure pour beaucoup d’entre elles : quid de la connexion internet ? Cette question qui pouvait paraître superficielle, il y a quelques mois encore, prend toute son importance aujourd’hui. À l’heure où la France est en télétravail, où les étudiants doivent se connecter à 50 pour suivre le même cours, comment proposer une alternative satisfaisante ?
Cette préoccupation est dans les esprits de nombreux directrices et directeurs d’écoles. À l’EM Strasbourg BS, on a profité de cette semaine blanche pour faire quelques tests. « Nous constatons des ralentissements assez importants sur le réseau et c’est l’une de nos difficultés aujourd’hui. Nous avons fait quelques essais de cours qui fonctionnaient assez bien avec une promo, mais nous savons qu’il peut y avoir des problèmes de retard et de déconnexions intempestives », observe Herbert Castéran, DG de l’école. Actuellement, les établissements ont préféré partir sur des solutions hybrides entre synchrone et asynchrone, pour pallier ce genre de problématiques, mais rien n’est encore acquis d’ici le lancement de cette formule par les business schools, la semaine prochaine.
La problématique des recrutements
À l’heure actuelle, nombre de DG d’écoles restent optimistes sur le volet académique. La principale ombre au tableau concerne les recrutements des futures promotions. Si le ministère s’est déjà prononcé sur une annulation des concours qui devaient avoir lieu d’ici le 5 avril et sur les concours post-bac, il demeure toujours une incertitude sur le recrutement post-CPGE.
La Conférence des Grandes Écoles évoque de très nombreux scenarii avec les établissements, mais aussi le ministère. Pour l’instant, aucune communication officielle n’a été faite, certains concours comme Ecricome continuent à indiquer que les écrits sont maintenus. Mais à l’heure où la France est en confinement total, il paraît difficile d’imaginer l’organisation d’examens qui obligeraient les étudiants à se regrouper par centaines et à sillonner les routes de France.
Certaines écoles réfléchissent à des alternatives. À l’ISC Paris, Jean-Christophe Hauguel a échangé avec le ministère sur cette question : « Nous souhaitons que les modalités de recrutement à l’international puissent s’appliquer dans ce cas, c’est-à-dire une étude du dossier, suivi d’un entretien. » L’ensemble des directrices et directeurs admet qu’aujourd’hui le ministère est assez réactif sur ces questions, même si le nombre de dossiers à gérer est assez important, étant donné le caractère inédit de la situation.
D’autres établissements souhaitent éviter des modes de sélection uniquement sur dossier, comme l’impose le ministère pour le post-bac. C’est le cas de l’ISIT, notamment. « Le ministère incite à faire des admissions uniquement sur l’étude du dossier du candidat, ce qui nous pose quelques difficultés, car nous devons vérifier la dimension internationale du projet de l’étudiant, mais aussi ses compétences linguistiques », s’inquiète Frédéric Gulin, DGA de l’école.
La grande interrogation des Grandes Écoles pèse sur les recrutements à l’international. Comment séduire des élèves étrangers pour les faire venir dans un pays dont les frontières sont désormais fermées ? Cette situation, c’est Christophe Germain qui la décrit le mieux : « Demain, ne va-t-il pas y avoir une appréhension à voyager ? Les étudiants ne vont-ils pas opérer un recentrage sur les institutions locales ? Nous n’en sommes qu’au début, mais cette crise va forcément avoir un impact sur les comportements. Quels seront les comportements des étudiants internationaux demain ? Est-ce que certains vont se désister ? Certains ne vont-ils pas refuser de nous rejoindre, pensant qu’on ne sera pas capable d’assurer la rentrée en septembre ? C’est une question complexe, mais il est possible que nous ayons une mobilité qui chute au niveau international. »