L’inclusion des personnes transgenres en entreprise reste un sujet méconnu, pourtant bien réel. Que ce soit en tant que salarié(e) concerné(e) ou collègue, comprendre les enjeux liés à la transidentité au travail est essentiel. Entre discriminations, défis d’intégration et bonnes pratiques, comment favoriser un environnement professionnel plus inclusif ? Décryptage d’une réalité encore trop peu abordée.
Personnes transgenres : définition et parcours de transition
Une personne transgenre est une personne dont le genre n’est pas relié à celui qu’on lui a attribué à la naissance. On appelle une femme trans, une personne née homme et qui fait une transition pour devenir la femme qu’elle est. Un homme trans est l‘opposé, c’est une personne née femme et qui fait une transition pour devenir homme qu’il est. Il existe également des personnes non binaires, donc qui ne s’identifient pas au spectre binaire homme/femme.
La transidentité réside seulement dans l’identité de genre, c’est-à-dire le genre ressenti et vécu par la personne, et ne doit pas être confondue avec l’expression de genre, qui sont liés aux habits, attitudes et comportements reliés au genre féminin, masculin ou même son absence. De la même manière qu’une femme peut être masculine, une personne transgenre n’est pas obligée d’être féminine ou masculine, d’où la nuance.
Au cours de ce parcours de transition, une personne trans peut choisir de transitionner socialement (changement de prénom, de genre) et/ou médicalement parlant (traitement hormonal, opérations chirurgicales). Le choix de ces transitions change d’une personne à une autre, et donc, elles ne sont pas toutes nécessaires pour être transgenre.
Pour en savoir plus sur les associations LGBTQIA+, lis notre article « Égayons-nous : l’association LGBTQIA+ friendly de NEOMA Reims ».
Témoignage : les défis des personnes transgenres en entreprise
Pour décrypter les enjeux des personnes transgenres dans le milieu de l’entreprise, nous sommes allés à la rencontre de Léon Salin, qui a gracieusement donné de son temps pour répondre à nos questions. Léon Salin est formateur et activiste trans né en Suisse. Il est intervenant dans les écoles, universités et entreprises qui s’intéressent aux approches inclusives pour les personnes trans dans ces milieux.
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Qu’est-ce qui t’a amené à t’engager sur les questions des personnes transgenres en entreprise ?
À la fin de mon master, j’ai essayé de trouver un poste dans la communication. Malheureusement, lors des entretiens que j’ai eus, toutes les questions étaient liées à ma transidentité. La même situation s’est reproduite quand je me suis inscrit au chômage. Là aussi, l’assistance sociale ne m’a posé que des questions sur ma transidentité. J’ai donc quitté son bureau pour me lancer à mon compte dans la formation des entreprises quant aux entretiens transinclusifs en France et en Suisse, en créant l’association Salin.
Quels sont les principaux défis auxquels font face les personnes transgenres dans le monde du travail aujourd’hui ?
Le premier, c’est le recrutement. Pour moi, il y a trois types de cas : soit, la personne est prétransition, et donc elle est reliée au genre attribué à sa naissance. Soit, la personne est en cours de transition, ce qui signifie qu‘il y a des caractéristiques administratives qui vont identifier la personne comme étant trans. Et, dans un dernier cas, la personne n’apparaît pas comme étant trans. Selon le profil, une personne trans risque de ne pas être embauchée.
Le deuxième, c’est l’intégration. Ça pose énormément de questions : comment on intègre une personne dans le milieu du travail ? comment aménage-t-on les besoins de la personne trans ? comment évite-t-on que les collègues posent des questions tout au long de la journée ? Pour cela, je dirais qu’il faut faire appel à des personnes formées et qualifiées.
Existe-t-il des biais inconscients ou des discriminations systémiques qui freinent l’embauche des personnes trans ?
Oui, mais je reste un optimiste bisounours. Je me dis que c’est le manque d’éducation qui crée les discriminations envers les personnes trans plutôt qu’une volonté de nuire. On a tou(te)s été éduqué(e)s avec une image négative des personnes trans. Mon travail me le prouve. Par exemple, je suis allé chez KFC France pour former les franchisé(e)s. Beaucoup ignoraient comment gérer les enjeux autour des vestiaires et des toilettes. C’était le plus grand problème à gérer, mais grâce à une éducation avec le dialogue, on peut briser cette discrimination systématique.
Quelles bonnes pratiques recommanderais-tu aux entreprises pour accompagner une transition de genre d’un(e) employé(e) ?
M’inviter. Plus sérieusement, je dirais que c’est la prise de contact, la sensibilisation et la position publique de la hiérarchie pour le recrutement et l’inclusion des personnes trans. La responsabilité de l’entreprise est de faciliter la formation, une heure et demie suffisent. Dans mon cas, je viens entre midi et deux. J’interviens pendant une heure et on me pose des questions par la suite. C’est amplement suffisant.
Comment créer un environnement de travail réellement inclusif pour les personnes trans ?
Alors, il faut être honnête. Les motivations des entreprises ne seront pas toujours bénignes. Certaines personnes ont une volonté d’inclusivité dans leur cœur, mais ce n’est pas toujours le cas. Une entreprise est avant tout une organisation avec ses propres objectifs, et l’inclusion des personnes trans peut parfois être perçue comme un levier de communication plutôt qu’un réel engagement. Certaines entreprises cherchent avant tout à soigner leur image en se positionnant comme innovantes sur les questions de diversité, sans forcément mettre en place des actions concrètes. Je ne vais pas condamner ça.
La réalité d’un « espace safe » dans une entreprise est très peu probable. Ça peut ne pas être le cas dans une petite entreprise, mais plus l’entreprise est grande et moins c’est probable. La réalité est que le monde n’est pas safe pour les personnes trans. Même si nous avons l’habitude, on doit en tirer ce que l’on peut et ne pas se avoir l’illusion d’une entreprise complètement safe.
Que penses-tu des chartes d’inclusion et des politiques de diversité mises en place par certaines entreprises ?
Je trouve que c’est bien, c’est déjà cool d’avoir cette charte. On se dit que la RH est de notre côté. Maintenant, il faut toujours voir si les actions qui vont être appliquées, en cas de conflit, vont être respectées. C’est là qu’on verra les réelles intentions de l’entreprise.
Quels sont les outils ou ressources que les RH peuvent proposer aux employé(e)s transgenres ?
Elles peuvent proposer une communication et surtout comprendre la souffrance de la personne. Il faut que la personne trans se sente à l’aise de venir parler et qu’elle se sente protégée. Si jamais ce n’est pas le cas, je recommande de faire appel à des associations et des personnes, idéalement trans, pour venir parler. Quand on voit qu’il y a un lien émotionnel, les personnes vont tout de suite se sentir concernées.
As-tu des exemples d’entreprises qui ont mis en place des actions efficaces pour inclure les personnes trans ?
Je vais prendre l’exemple de la dernière entreprise avec laquelle j’avais travaillé : KFC. Là, j’ai senti une véritable volonté de la part de l’administration de former leurs employé(e)s et leur franchise. Vu que chaque restaurant est géré par un(e) manager, la question des vestiaires s’est vite posée. J’ai eu beaucoup de retours quant à la gestion de cette problématique : qu’est-ce qui est bien pour la personne trans ? qu’est-ce qui relève du cadre légal ? ce que l’on peut faire ? ne pas faire ? À la suite de ça, une infographie a été transmise à chaque restaurant pour répondre aux questions liées à cette situation précisément.
À l’inverse, quels sont les obstacles les plus courants qui persistent malgré les efforts en matière d’inclusion ?
C’est toujours le budget. L’entreprise veut être inclusive, mais manque de budget pour former, ce qui pose un problème. C’est un travail qui mérite d’être payé. Ça devient un paradoxe. On ne m’engage pas dans le secteur de la communication parce que je suis trans, mais on veut que je vienne former des personnes gratuitement.
Comment les collègues cisgenres peuvent-ils être de meilleur(e)s allié(e)s au quotidien ?
C’est de s’informer, mais pas auprès de la personne qui vient de faire son coming-out. Il faut aller se renseigner auprès de livres, de réseaux sociaux et des personnes qui sont trans. Attention à la source des informations. Il faut les prendre auprès de personnes safes et qui savent vraiment de quoi elles parlent. Il y a énormément de comptes sur les réseaux sociaux qui parlent de la transidentité, comme AggressivelyTrans et Morgan Noam.
Quand je viens dans une entreprise, c’est le moment pour poser les questions, car je suis là pour ça, mais pas en dehors de ce cadre. Les personnes trans ne sont pas des dictionnaires ambulants.
Quelles protections légales existent aujourd’hui pour les personnes transgenres au travail en France ?
Oui, il y a le Code du Travail et le Code Pénal (article 225-1) qui défendent le respect de la personnalité, l’identité de genre et l’orientation sexuelle. En 2019, il y a aussi eu une décision de cadre qui énonce qu’il est recommandé d’utiliser le(s) prénom(s) et titres de civilité choisis par la personne trans. Pour le choix des toilettes et des vestiaires, une même décision de cadre indique de laisser à la personne trans le choix des toilettes et vestiaires relié à leur genre. Cette décision s’applique au monde de l’éducation, mais j‘estime qu’elle s’applique de facto au monde de l’entreprise.
Quels progrès aimerais-tu voir dans les prochaines années sur ces questions ?
Je veux absolument que l’Europe prenne le contre-pied par rapport à Trump et sa politique. Il faudrait un renforcement et une prise de position contre le programme de l‘administration américaine, surtout pour les personnes trans qui ont actuellement peur pour leur vie et leur sécurité.
Comment les entreprises peuvent-elles jouer un rôle actif dans la lutte contre la transphobie en dehors du cadre professionnel ?
Elles ont un rôle de représentation. Par exemple, pour les entreprises de mode, la visibilité des personnes trans dans des campagnes va apporter une démocratisation. Au plus les personnes trans sont médiatisées et représentées, au moins il y aura de préjugés.