Tupperware
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L’empire Tupperware : vendre sans aucun vendeur

Lancée en 1946, Tupperware est devenue une référence dans le domaine des ustensiles de cuisine & des bocaux en plastique, jusqu’à en devenir le terme utilisé universellement, à l’image de Frigidaire ou de Caddie. Mais comment l’entreprise a-t-elle réalisé cet exploit ? Quelles méthodes marketing lui ont permis de se hisser au sommet ? Pourquoi l’entreprise vit-elle une perte de vitesse aussi importante ? Béatrice Durand-Megret, experte en retail et enseignante-chercheuse à l’EMLV, nous explique tout !

 

La petite histoire du lancement de Tupperware

À l’origine, l’entreprise Tupperware doit sa création à une découverte de l’ingénieur Earl Tupper, fondateur de l’entreprise : celle du joint hermétique en plastique. En parvenant à créer des pots isolant leur contenu de l’atmosphère extérieure, il rend le plastique viable pour conserver des aliments et contribue àl’ implanter plus largement en le faisant entrer dans les habitudes de consommation d’une bonne partie des Américains.

L’évolution est alors grande : on ne conserve plus la nourriture directement dans leurs bocaux d’origine, la laissant se dégrader à une grande vitesse, mais on en organise la conservation, au travers d’un nouveau type de bocaux, commercialisés par Tupperware. Sur leur site, Tupperware parle même de la révolution des plastiques, qui aurait changé en profondeur la manière de s’alimenter à l’époque.

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Le bouche-à-oreille, mode de communication payant pour Tupperware

Tupperware : s’adapter à des produits révolutionnaires

Si les produits Tupperware vont participer, à l’époque, à une révolution dans les cuisines américaines, ce ne sera pas le cas dès leur implantation dans les magasins classiques de l’époque. Lors de la création de l’entreprise, peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Earl Tupper fait face à un premier échec : les produits ne se vendent pas. Trop déroutants pour les ménagères américaines des années 1940-50, nullement habituées à de tels produits, les pots en plastique ne trouvent, à la base, pas leur public, forçant l’entreprise à repenser son modèle de diffusion et de communication.

Prenant conscience de la nécessité de démontrer les atouts du produit, l’entreprise fait le choix de se tourner vers une nouvelle méthode de vente : ne plus être distribué en magasin, mais miser sur des réunions dans lesquelles des représentants de la marque vont essayer de vendre les pots en plastique à leurs connaissances, en espérant que ces derniers soient suffisamment convaincus par les représentants pour rentrer dans le réseau et se mettre eux aussi à vendre ces produits à leurs connaissances.

 

Et Tupperware créa… le marketing pyramidal

Si ce type de modèle rend le produit moins accessible que dans le cadre d’une distribution en magasin de détail, à l’époque hégémonique dans le monde de la vente, elles ont pour avantage majeur de n’employer personne, d’éviter toute campagne marketing coûteuse et de ne produire que ce qui est nécessaire. C’est notamment ce qui va se passer quand Tupperware va se débarrasser des stocks, pour en faire peser la responsabilité et la gestion sur les ambassadeurs, qui doivent trouver des clients pour la marque. Elle met également en place un système de parrainages : les représentants gagnent des récompenses pécunières à recruter de nouveaux représentants, eux-mêmes incités à entrer dans le système par Tupperware, qui leur promet de n’avoir notamment aucun frais à avancer lors de leur arrivée.

Interrogée par nos soins sur le sujet, Béatrice Durand-Megret, experte en retail et enseignante-chercheuse à l’EMLV, nous parle de l’efficacité du modèle pour convaincre et se faire connaître : « le modèle de Tupperware repose sur le principe du réseau social : si chaque personne contacte environ 5 personnes, qui va elle-même contacter 5 personnes, l’évolution est exponentielle et le mouvement peut devenir mondial (…). Pour Tupperware, l’enjeu était à la fois de montrer que leurs produits étaient bons, pour la fidélisation et de donner envie à d’autres personnes de les vendre, et de devenir des ambassadeurs. » En d’autres termes, Tupperware se place quelque part entre LinkedIn et les influenceurs Instagram : les ambassadeurs de la marque communiquent auprès de leur réseau, et la marque peut compter sur la communication de tout un réseau de personnalités, avec chacune un centre d’influence différent.

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Le marketing pyramidal selon Tupperware : moins cher, plus efficace

Ce modèle économique a un avantage stratégique : toutes les dépenses fixes liées à la diffusion, aux stocks ou à la distribution disparaissent. De la même manière, les campagnes de communication et de publicité (affiches, spots en télévision, etc.) ne sont plus nécessaires. « Est-ce que toutes les entreprises ne devraient pas faire comme Tupperware ? », ironise l’enseignante. « En regardant précisément le cas de Tupperware, ils étaient avant-gardistes sur beaucoup d’aspects, de la vente en réseau à la communication, et ils réunissent beaucoup de points favorables dans ce que recherchent les marques au quotidien : immersion, implication à la marque, intimité, confiance, etc. Énormément de concepts et de stratégies marketing sont aujourd’hui issues de ce concept de base. »

« Quand un vendeur va dans le salon d’un ami, d’amis d’amis… le risque n’est pas pris par l’entreprise mais par le vendeur : comme sur une marketplace, les produits sont vendus ou non, mais ça ne change rien pour Tupperware. » L’entreprise parvient donc à entretenir un rapport de proximité avec le consommateur, grâce à l’informel et l’intime porté par le foyer, en se débarrassant au passage de tous les risques financiers liés aux stocks.

Et bien entendu, l’efficacité de ce type de modèle n’est plus à prouver, tant il pousse à la consommation. « La seconde clé du succès de Tupperware réside dans la sensation d’obligation d’achat : si on va chez une amie et qu’on n’achète rien, on passe pour une radine, donc quand on participe, on achète forcément au moins un petit quelque chose ». L’entreprise mise donc tout particulièrement sur la notion d’expérientiel pour transformer le prospect en client de manière efficace. « On dit qu’une personne demande en moyenne des conseils à 4 autres personnes avant de faire un achat, donc si elles sont là directement, c’est pratique. »

 

Le marketing pyramidal de Tupperware, un problème ?

Si la recette est efficace, elle peut être vue comme problématique : faire peser l’ensemble des efforts sur un employé en lui faisant prendre tous les risques peut interroger. Béatrice Durand-Megret réplique : « Certains disent que c’est de l’exploitation, mais si celui qui est en haut récolte certes les fruits du travail des autres sans rien faire d’autre que de créer les produits, c’est exactement ce qui se passe quand une marque travaille avec des influenceurs. »

Selon la loi, le marketing pyramidal n’est pas problématique tant que tout le modèle économique ne repose pas sur le système de parrainages : si les bénéfices de l’entreprise ne reposent plus sur le produit mais sur le recrutement, l’activité devient illégale, parce que ce n’est économiquement pas soutenable et que, plus l’entreprise fonctionne, moins elle risque de fonctionner à l’avenir. Dans des cas comme celui de Tupperware, dans lesquels le recrutement n’est qu’une activité secondaire, le modèle est dans le cadre de la loi, car il reste soutenable : les vendeurs peuvent évoluer et atteindre la rentabilité.

 

Un moyen de contrôler sa communication pour Tupperware

Si l’on pouvait penser que confier la vente des produits à des vendeurs amateurs (voire carrément des consommateurs fans de Tupperware) poserait un problème, c’est en réalité tout l’inverse qui se produit. « Ils ont des séminaires très réguliers, parce que c’est important de maîtriser ce qu’on dit. L’information suit une transmission pyramidale : on explique à l’un qui va expliquer aux autres. Contrairement aux autres marques, les arguments sont donnés en one-to-few, avec des arguments considérés comme ceux qui sont le plus susceptibles de vendre ». De cette manière, les séminaires et la transmission sont suffisamment organisés pour que l’information circule et cela dans les deux sens.

Un système bien plus efficace que la vente en magasin, rappelle notre experte : « Quand vous vous appelez SEB et que vos produits sont distribués en magasin par un vendeur, vous n’avez pas réellement de contrôle sur la communication non plus. » Le circuit court permet donc de resserrer les rangs, en permettant à chacun des vendeurs de savoir exactement quels arguments dérouler et mettre en avant. Même si en apparence plus libres, les vendeurs sont donc plus proches du coeur de la communication de l’entreprise.

Par ailleurs, en y pensant sous cet angle, alors que les vendeurs en magasin peuvent être amenés à remettre en question les produits et diriger vers d’autres marques, mettant aussi en avant les défauts de tous les pots, la confiance des ambassadeurs en leurs produits et la connaissance académique des éléments de communication de la marque permettent, l’un dans l’autre, de rendre la communication plus efficace que jamais.

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Pourquoi les produits Tupperware sont aussi bons ?

On l’a vu, l’entreprise a été lancée par un ingénieur et a atteint le succès grâce à la qualité de cette innovation. C’est sur cette base que toute la communication de l’entreprise repose. Comme le rappelle Béatrice Durand-Megret, « une bonne communication n’est rien sans un bon produit ». Et, à cet égard, le mode de vente donne à Tupperware un atout assez important pour améliorer constamment ses produits : « quand on passe un après-midi entre copains à discuter pour parler de ses produits, on a un retour d’informations très intéressant. C’est presque une séance d’études où on teste des produits, donc, au final, on a un test continuel avec un retour sur les produits au moment de l’achat. »

Tupperware peut donc constamment enrichir ses produits, en étant au plus proche des besoins et des demandes de leurs publics : c’est de cette manière que la gamme de produits s’est autant élargie, pour proposer un produit pour chaque besoin et donc pour s’adapter constamment.

Ce type d’informations sont capitales pour une entreprise, qui peut à la fois savoir si leurs produits sont fiables et s’ils répondent à une demande. Car le circuit court et le modèle de marketing « pyramidal » permettent tous deux de faire remonter assez rapidement les informations vers les ingénieurs de l’entreprise. C’est de cette manière que la réputation de l’entreprise est aussi bonne, de l’aveu de la chercheuse elle-même : « il y a des Tupperware que j’ai depuis 20 ans. » La stratégie d’amélioration constante de la qualité des produits semble en phase avec le modèle économique et managérial régnant au sein de l’entreprise.

 

Tupperware a-t-il crée un modèle parfait pour toutes les entreprises ?

Pour Béatrice Durand-Megret, un tel modèle économique ne peut pas fonctionner pour n’importe quoi : « Ce modèle fonctionne aussi bien parce qu’il est utilisé sur des produits impliquants, donc des produits qui nécessitent de la recherche d’informations, des conseils, des tests, etc. C’est un modèle qui va également se développer dans le domaine des sous-vêtements et même dans la vente de sextoys : l’intimité d’un foyer facilite la prise de conseils, qui sont nécessaires pour de tels produits ». Il est alors question de produits pour lesquels la prise de conseils serait intrusive ailleurs : la chercheuse souligne en effet le caractère relativement déplacé de conseils à la consommation dans le cadre d’une vente de sextoys par exemple, révélant les atouts de la communication Tupperware dans d’autres domaines encore. Être mis en confiance dans un environnement tolérant est une grande aide dans le choix de pareils produits.

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Pourquoi Tupperware est en perte de vitesse ?

Des produits grandement banalisés

Cette avance dans sa communication n’a pas empêché l’entreprise d’être ringardisée. Selon Libération, l’entreprise est proche du dépôt de bilan, car leurs produits se diffusent de moins en moins, malgré une image de marque excellente et des vertus indiscutables. Une situation que Béatrice Durand-Megret a du mal à expliquer : « peut-être qu’il aurait fallu faire un virage vers le numérique qui n’a pas été pris, peut-être que les produits ont été normalisés, il peut y avoir tout un tas de facteurs ». En effet, alors que les produits conçus de manière ingénieuse ont envahi Instagram et que des sites comme Wish ou AliExpress proposent des produits de faible qualité et à des prix toujours plus bas, il est possible que l’entreprise ne parvienne pas à convaincre, malgré une plus haute qualité.

« Est-ce que des réunions Tupperware sont possibles en visio ? Est-ce que c’est possible de faire des démonstrations sur Internet, par une webcam ? Je ne suis pas sûre. On a besoin de la qualité physique de Tupperware : parce qu’on nous démontre directement les choses, comme sur un marché, ça fonctionne. La dimension sociale et socialisante est très importante. » Le COVID peut donc aussi avoir joué son rôle dans la très grande difficulté qu’a récemment rencontrée l’entreprise et un rassemblement physique peut demeurer nécessaire pour parvenir à recréer à la fois l’atmosphère de confiance et l’authenticité de la démonstration, ingrédients indispensables à la recette Tupperware.

 

Tupperware, entreprise ringarde ?

Si l’on va plus loin, on peut supposer que la jeune génération n’est plus aussi encline qu’auparavant à se déplacer pour acheter ce type de produits et que les codes de ces rassemblements ne sont pas tout à fait les leurs. Car s’il est désormais possible d’acheter un certain nombre de Tupperware en ligne et qu’on peut donc se passer de ces réunions, amputer la firme de son arme de communication de prédilection font reculer des arguments de vente souvent nécessaires pour comprendre l’utilité des produits.

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