L’année universitaire 2022-2023 s’est avérée assez chaotique pour les étudiants de la Sorbonne Nouvelle : rentrée décalée, changement de campus complexe, distanciel asynchrone, blocus à répétition, etc. Retour sur une année compliquée qui pousse à s’inquiéter pour l’avenir de l’établissement.
Le campus Nation de Sorbonne Nouvelle, véritable nid à problèmes
2017. C’est la date à laquelle l’université devait quitter ses locaux insalubres et dégradés de la rue Santeuil, au profit du quartier de Nation. Mais ce n’est que début 2022 que les étudiants ont pu y suivre leurs premiers cours : les divers conflits d’intérêt entre la dizaine d’entreprises de construction ont grandement retardé les travaux et le passage des Commissions de sécurité a, lui aussi, souvent été reporté.
Une situation très alarmante notamment pour l’ESIT, accueilli auparavant sur le site de l’Université Paris-Dauphine, qui indiquera ne plus pouvoir accueillir ces activités dès le 1er janvier 2022. Mais plus de peur que mal : la Commission émettra, le 7 décembre 2021, un avis favorable au déménagement dans les locaux. Peu à peu, les services sont délocalisés, l’ESIT arrive sur le site de Nation, la bibliothèque du petit campus de Censier se vide et la rentrée 2022 se prépare. La fin des problèmes, avait-on pensé.
Un campus trop petit
On ne l’a pas pensé longtemps. Premier constat : à peine sorti de terre, le campus Nation est déjà trop petit. Même en organisant les cours de 8h à 21h, tous les jours, samedi compris, il n’y aura pas assez de salles pour accueillir les plus de 15 000 étudiants de Sorbonne Nouvelle. De nombreuses organisations alertaient pourtant, depuis le tout début des travaux, sur un campus prévu trop petit, mais ce n’est qu’en juin que le CFVU et la présidence vont, en catastrophe, chercher des solutions et essayer de mettre en place des mesures pour régler le problème.
Ce problème semble difficilement compréhensible, d’autant que le campus a pris ses aises : dessiné comme un « serpent », plein de recoins et de virages, avec de nombreux espaces relativement inutiles, il semble que sa conception aurait pu être plus optimisée. Ce n’est pas une réflexion d’un architecte, elle est peut-être insensée, mais c’est en tout cas le ressenti d’une bonne partie du corps universitaire. Interrogé sur la question, le président semble d’accord : « Il faut reconnaître qu’appeler un logisticien pendant l’évolution du projet aurait été essentiel ».
Un plan d’urgence problématique
Après avoir, entre autres, demandé aux professeurs de préparer des plans pour gérer la crise à venir (de leur propre aveu), deux décisions majeures ont été communiquées aux étudiants :
- Le passage des cours en distanciel asynchrone : il est alors prévu que les cours dispensés par le BET (Bureau des Études Transversales) soient dispensés en distanciel asynchrone. Au mieux des cours enregistrés en vidéo, au pire des PDF à lire toutes les semaines et des QCM pour valider l’enseignement.
- La location de salles : face à l’incapacité du site de Nation à accueillir tous les cours, la direction a décidé de louer des salles de cours dans des sites hors de ses murs, respectivement Rue de la Sorbonne, près de l’ancien campus, dans la Cité Universitaire de Paris et à proximité de La Défense. L’administration semblait alors prévoir des demi-journées de présence sur les sites, mais délocaliser l’activité à pareille distance pose tout de même question.
Si ces mesures d’urgence semblent nécessaires pour limiter les dégâts immédiats qu’allaient causer un tel problème, cette situation semble invraisemblable et reste particulièrement inquiétante pour le campus. D’autant qu’une question demeure : comment régler le problème ? Aucun projet d’expansion de Nation n’est à l’ordre du jour et il semble inacceptable de laisser, à long terme, des enseignements transversaux à distance (dont parfois des cours de langue et même des cours de théâtre, ça ne s’invente pas) ou même de continuer à louer des salles aussi éloignées du campus. Faire appel à un professionnel pour réagencer l’université est une solution nécessaire, que le président de l’université semble envisager, mais qui risque de s’avérer insuffisante pour régler le problème de manière durable.
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Sorbonne Nouvelle inachevée : des étudiants en danger ?
Mais ces problèmes ne sont rien face à la menace sur la sécurité des étudiants, qu’on constatera quelques jours après. C’est ironiquement lors de la toute première réunion de pré-rentrée, celle des étudiants en première année, que l’incident le plus grave s’est produit : un élément de toit de l’amphithéâtre est tombé … sur la tête d’une étudiante. Si elle s’en sort miraculeusement sans blessure grave, comment se sentir en sécurité dans un campus flambant neuf qui s’écroule ? La direction se veut cependant rassurante : ce défaut est propre à cet amphithéâtre, n’existe nulle part ailleurs et sera réglé dans les plus brefs délais. Ouf.
Sauf qu’un autre incident du même genre va se produire, sur un tout autre type d’installation : moins de 15 jours plus tard, une dalle en métal, élément de faux plafond, va tomber sur le bureau occupé d’une salariée. Libération rapporte dans un article des mails internes émis par des membres de la CGT. Selon les messages du syndicat, la salariée venait à peine de quitter son poste de travail et s’en sort miraculeusement « à une seconde près ». La Commission de sécurité a pourtant validé l’emménagement !
L’installation électrique de la Sorbonne Nouvelle, nouveau point de difficulté ?
Moins graves, mais également pénalisants : les problèmes d’installation électrique et d’isolation. Un autre des incidents marquant le début de cette rentrée sera assez particulier : une étudiante va brancher un chargeur dans une des prises de l’Université et provoquer un court-circuit. Son chargeur ne fonctionnera plus après ce branchement, au même titre qu’un certain nombre de prises et de projecteurs. Sur cet étage, les lampes ne fonctionneront pas pendant toute une journée ; elles sont pourtant relativement indispensables pour des cours à 21 heures au mois d’octobre. Un tel type d’incident ne devrait pourtant pas se propager et interroge sur la sécurisation des installations électriques.
Dans un message adressé aux étudiants, le Directeur Général des Services de la Sorbonne Nouvelle Laurent Signoles se veut rassurant :
« La contagion immédiate de l’incident montre que la protection électrique de 1er niveau sur la prise n’a pas fonctionné de façon satisfaisante. La protection d’étage s’est en revanche déclenchée correctement. (…) Je tiens à préciser que les salles du 1er étage restent utilisables, et ce, en toute sécurité. »
C’était pourtant le manque de sécurisation des installations électriques qui, en fin d’année 2021, avait retardé la toute première ouverture du campus : les générateurs de l’amphithéâtre n’étant pas conformes aux exigences de sécurité, l’arrivée des personnels en avait été décalée. L’installation électrique est donc un élément qui a attiré l’attention de la Commission de Sécurité, qui a du être contrôlé plusieurs fois ; comment a-t-elle pu rater une telle lacune dans le dispositif ?
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Les amphithéâtres de la Sorbonne Nouvelle fermés
Si j’ai mentionné plus haut « l’amphithéâtre », c’est car il n’y en a, encore à ce jour, qu’un seul sur le campus : les travaux n’étant pas achevés dans les autres amphis commandés, ils sont, pour l’ensemble de l’année universitaire 2022-2023, fermés. Seul l’amphithéâtre 350, le fameux amphithéâtre de « la poutre », est toujours ouvert. Malgré tout ce retard et toutes ces années de travaux, c’est un campus inachevé qui attend les étudiants et les professeurs de la Sorbonne Nouvelle ; à l’origine prévus pour ouvrir de janvier à novembre, aucun des élèves et membres du staff n’a, à ce jour, pu ouvrir leurs portes, poussant à surexploiter l’unique amphithéâtre, quasiment toujours occupé.
Dans tous ces problèmes, des plus incommodants aux plus graves, il est difficile de pointer la responsabilité de qui que ce soit : ce n’est certainement pas le fait de la présidence si le campus, validé par toutes les commissions de sécurité, s’avère dangereux pour tous les personnels et étudiants. Cela étant dit, le travail de plus d’une dizaine d’entités différentes sur un même chantier a probablement contribué à accentuer tous ces problèmes.
L’administration de la Sorbonne Nouvelle : le parcours du combattant
La communication entre les services a toujours semblé complexe dans l’université, de l’aveu de Jamil Jean-Marc Dakhlia, président de 2019 à 2023 :
Il y a un vrai problème de pilotage. Chaque jour, nous découvrons des besoins qui sont sur ou sous-développés. Il y a un véritable manque de communication, de suivi des documents, qui conduit à un manque de traçabilité.
S’il confine ce problème à des considérations très précises dans sa prise de parole, la problématique semble structurelle et surtout être propre à toute l’université : des manques de communication et des choix organisationnels questionnables ont forcément barré la route à chacun des étudiants, à un moment ou un autre dans leur cursus.
Des bizarreries dans l’organisation de la Sorbonne Nouvelle
Des règles arbitraires
Outre les problématiques classiques des administrations universitaires (le sous-effectif en tête), la Sorbonne Nouvelle s’illustre tout particulièrement par d’authentiques « bizarreries », des difficultés administratives qui semblent construites ex nihilo par certains départements. Par exemple, l’université ne délivre pas de relevés de notes : pour en avoir un, il faut impérativement prendre rendez-vous. Impossible, pour les stagiaires, de signer les conventions par voie électronique : ils doivent en effet se déplacer jusqu’à l’entreprise, afin de pouvoir discerner « le relief de la signature sur le papier » (cette phrase n’est pas inventée) et prendre, là aussi, un rendez-vous avec l’université pour la déposer. L’université invoque à cet égard des raisons légales : ne pas respecter cette règle serait se mettre sciemment hors-la-loi. Petite nouveauté du campus Nation, il n’existe pas non plus de boîte aux lettres dédiée. De nouveau, chaque demande de signature ou d’attestation doit s’accompagner d’une prise de rendez-vous. La raison ? La direction « ne souhaite pas de boîtes aux lettres sur les portes ». D’accord.
Ces règles sont d’autant plus étranges qu’elles ne tiennent plus à l’épreuve du COVID et des blocus (on y reviendra plus tard, le deuxième semestre de l’université sera frappé de tout un ensemble de problèmes), qui forceront l’université à la reculade sur ces sujets. Elle demandera notamment d’envoyer par la poste les conventions de stage (à la charge des étudiants) et tolèrera des conventions signées électroniquement de manière temporaire (probablement au mépris de la loi, à en croire leurs prises de position). De quoi renforcer la perception que ces règles puissent être arbitraires et incompréhensibles.
L’art de ne pas respecter ses propres règles
Mais plus que tout, par son manque cruel de moyens et d’organisation, l’Université force les entreprises à accepter les stagiaires, sans convention signée, même scannée. Tout particulièrement cette année, nombreux étudiants vont devoir se rendre à leur stage avec pour seule preuve juridique une notification sur l’utilitaire P-Stage créé pour valider les conventions. Face aux plaintes des étudiants, alimentées par la peur de perdre leur stage, la réponse sera toujours la même : « on a énormément de cas à traiter, attendez la convention, vous allez la recevoir« . Être aussi exigeant, tout en refusant l’exigence des entreprises, une conception intéressante.
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L’organisation des stages à la Sorbonne Nouvelle, la plus grande des étrangetés
Comment ne pas trouver de stage
L’organisation des stages semble toujours avoir été un nid à problèmes : il est, pour commencer, interdit de faire un stage s’il n’est pas prévu comme obligatoire, pour des raisons d’égalité des chances. Soit. Le rendu du rapport de stage, dans certains départements, est prévu pour la moitié du mois de mai. Toute expérience que les étudiants pourraient acquérir passé ce délai ne sera jamais évaluée. Très bien.
Mais surtout, le stage ne donne pas lieu à la banalisation des cours… ou en tout cas pas pour tout le monde. Les étudiants en mineure, qui doivent en fait choisir parmi les cours d’autres cursus pour s’y greffer, ne bénéficient d’aucun aménagement des cours de leur discipline « mineure », pour la durée du stage. Dès lors, les étudiants dont le cursus prévoit un stage de fin de licence et ayant choisi « la mauvaise spécialisation » ne sont plus seulement mis face à des enseignements qui ne sont absolument pas adaptés à leur parcours (avec des cours en mineure devenant pour eux de plus en plus inaccessibles à mesure que le temps passe) : ils sont aussi discriminés dans l’organisation de leur seule expérience professionnelle autorisée. Certains se retrouvent même à devoir aller suivre des cours en plein milieu de leur stage.
Égalité des chances ?
Les étudiants qui auraient fait le mauvais choix doivent donc convaincre leur entreprise d’accepter des horaires aménagés, tout en cumulant stage, rapport de stage et partiels, en se déplaçant entre l’université et leur entreprise d’accueil (oubliez alors tous les stages en région qui seront systématiquement refusés), le tout dans les mêmes délais que les autres. Et en y étant moins préparés aussi. C’est paradoxalement les étudiants dont la formation est la moins orientée vers leur domaine de prédiléction, dont les enseignements ne dépendent pas tous d’un même département, ceux qui auraient le plus besoin d’accompagnement dans leur insertion en entreprise, qui se retrouvent abandonnés par l’université. Dans certains domaines comme la communication, trouver un stage est bien assez difficile pour que l’administration ne fasse pas aléatoirement perdre leur stage à des étudiants.
Parce qu’on aurait pu imaginer une semaine de plus pour le rendu du rapport de stage, mais non, ce sera pour tous la même durée d’évaluation. De nouveau, aucune adaptation, et alors que certains auraient pu travailler jusqu’en août, ils ne pourront rattraper, sur la période évaluée, le nombre d’heures de leurs pairs. Quelqu’un a parlé d’égalité des chances ?
Les inscriptions pédagogiques à la Sorbonne Nouvelle, un véritable combat
Tous ensemble, chacun pour soi
Les inscriptions pédagogiques de la Sorbonne Nouvelle sont une sorte de jungle. Elles se font sur le Web et reposent sur une idée simple : premier arrivé, premier servi. L’université donne une heure, une date et ouvre un site sur lequel s’inscrire et choisir ses enseignements. Bien sûr, chaque classe a une capacité maximale : une fois atteinte, le cours n’est simplement plus disponible et il faut se rabattre sur d’autres, moins prisés.
S’il est normal que les cours aient une capacité maximale, le principal effet d’un tel dispositif est d’écarter de leurs enseignements de prédilection les étudiants salariés. Nouveau paradoxe, ceux qui auraient le plus besoin de choisir leur emploi du temps, parce que pris par des impératifs horaires ou parce que ne pouvant se rendre disponibles tous les jours, sont donc les plus susceptibles de ne pas pouvoir les choisir. Ils se rabattront donc sur des enseignements moins prioritaires, plus secondaires. Il semble clair qu’à cet égard, un système de tirage au sort non-sélectif et de formulation de voeux serait probablement plus juste. Car il est malheureusement rare que les choix des étudiants soient très divers : les cours les plus intéressants, aux horaires les plus arrangeants et les plus aptes à enrichir les formations et projets professionnels, ne représentent que très rarement l’essentiel des cours proposés. En ne faisant que des choix par défaut, notre formation se retrouve souvent complètement dévaluée.
Des cours choisis au hasard
Il peut toutefois arriver, comme au second semestre de cette année, que le site des inscriptions pédagogiques ne fonctionne tout simplement pas : dans ce cas, les étudiants sont face à une page blanche, sans aucune information pendant plusieurs heures. Aucun interlocuteur pour les informer et, quand des informations sont données, elles ne sont pas toujours fiables : dans le cas de ce second semestre, un mail diffusé en fin de matinée indiquait que la page n’ouvrirait que « dans l’après-midi »… elle ouvrira finalement 10 minutes plus tard. S’ils peuvent en premier lieu prêter à sourire, ce genre d’incidents présente toujours le même problème : défavoriser les étudiants salariés, au profit de ceux qui avaient du temps libre pour choisir leurs cours.
Certaines informations sur les cours sont d’ailleurs difficiles à obtenir : si une brochure est supposée donner des informations sur les enseignements, avec une courte description et parfois même le créneau, c’est loin d’être le cas dans toutes les formations : parfois introuvables, il est possible de ne s’orienter que grâce à un emploi du temps prévisionnel des TD, poussant à un grand exercice de spéculation, pour essayer de deviner ce qu’on peut bien apprendre dans un cours en fonction de son nom. D’autant que les brochures sont souvent obsolètes : il arrive de se connecter sur le site des inscriptions pédagogiques et de découvrir que le cours que nous souhaitions… n’existe pas ou que l’horaire n’est pas le bon, qu’il est dispensé en distanciel, en asynchrone, etc. Les étudiants de la Sorbonne Nouvelle découvrent même parfois l’existence d’enseignements au moment des inscriptions : retour à la case spéculation, avec le stress en bonus. Les professeurs et le personnel de la Sorbonne Nouvelle dénonce également cela sur les réseaux sociaux.
Nous sommes d'accord.
— Département Monde Anglophone – Sorbonne Nouvelle (@MondeAnglo_USN) September 27, 2022
Des salaires versés avec un an en retard
Le système de rémunération en université est, pour les chargés de cours, très particulier. La plupart du temps, les professeurs sont en effet payés en fin de semestre, d’un coup. Une situation qu’on peut déjà très grandement questionner, mais qui s’empire avec tous les retards de paiement, dont les professeurs se plaignent. Certains enseignants vont en effet témoigner aux étudiants de leurs difficultés et font même état de retards pouvant aller de plusieurs mois à une année complète. Au cours d’une assemblée générale, les professeurs et organisations dépeignaient une situation « logique » : parce que le logiciel de paiement est plein de problèmes et surtout parce que la délégation informatique du personnel ne peut s’y consacrer pleinement, les enseignants sont payés en retard.
La solution adoptée semble d’ailleurs marquer de nouveau le « problème de pilotage » dont le président parlait à l’origine. En effet, pour esquiver les problèmes générés par le logiciel de paiement, l’université Sorbonne Nouvelle a décidé de débrancher le système et de passer les paiements en mode « manuel ». Tous les organisateurs semblent unanimes : cette solution décuple le travail et risque de ralentir davantage les processus. Si l’établissement n’est évidemment pas responsable des budgets historiquement trop faibles qui sont attribués aux universités publiques, participant à la casse et la dévaluation des services publics, cette réponse illustre bien le reproche des enseignants à la présidence : rigidité et manque d’écoute.
L’après-Sorbonne Nouvelle, point de difficulté ?
Les attestations de réussite, encore et toujours en physique
Dernier obstacle au parcours des étudiants, dans la toute fin de leur parcours dans l’université parisienne : la plateforme Mon Master. Pour les étudiants qui souhaitent s’inscrire administrativement en master, à qui une copie du diplôme est demandée pour prouver la réussite de leur parcours, on retrouve la même difficulté que celle rencontrée pour les stages ou encore pour les relevés de notes : impossible de fournir un certificat aux étudiants, qui ne peuvent pas compter sur leur espace en ligne, mais doivent à nouveau prendre rendez-vous avec la direction pour obtenir un document attestant de leur validation de diplôme. En réalité, le seul document signé en ligne est le certificat de scolarité : il semble exempté de la règle du « relief de la signature », sans que l’on ne puisse réellement savoir pourquoi.
On est donc dans la même situation que celle des stages : le seul interlocuteur des étudiants doit accorder des rendez-vous individuels à chacun des L3, pour signer un papier attestant de l’obtention de leur diplôme. Là encore, les contraintes sont bien trop importantes pour être soutenables par tous : il est quasiment impossible de proposer un rendez-vous suffisamment tôt pour que leur inscription se fasse dans de bonnes conditions et ne cause pas de stress, tout en causant une gigantesque lourdeur dans l’emploi du temps de l’interlocuteur, chargé de parapher des centaines de diplômes à la chaîne. Sans parler des étudiants ayant potentiellement du quitter la région pour continuer leur parcours universitaire ou pour l’été : ils semblent devoir être en mesure de revenir sur le campus de Nation, dans un créneau très contraignant qui plus est.
Mon Master, Sorbonne Nouvelle : à qui la faute ?
Il est cependant difficile de faire un procès à l’université, alors que la transition liée à la mise en place de Mon Master est assez laborieuse (on pense aux problèmes informatiques qui forcent parfois les inscriptions administratives à se faire en physique, directement au sein des universités). Mais c’est dans la difficulté que la Sorbonne Nouvelle montre les grandes faiblesses de son administration : une lourdeur administrative inutile, un problème de pilotage et de gestion des difficultés qui forcent les étudiants à constamment faire des sacrifices pour résoudre les soucis. Car déléguer à d’autres, envoyer un document directement en ligne, etc., serait indéniablement plus soutenable pour tous.
Le président de la Sorbonne Nouvelle attaqué en justice
Dès les Conseils d’Administration, les organisations syndicales étaient unanimes : la présidence n’est pas à la hauteur des crises. « Ça fait des années que la présidence nous méprise (…), on nous parle souvent de dialogue social difficile, mais c’est faux, il n’y a juste pas de dialogue social », peut-on notamment entendre. Ces mots semblent résumer assez justement la perception de la présidence par les divers personnels de l’Université. Retour sur ce manque cruel de dialogue.
Les plans d’ouverture du campus
Mentionnés succinctement plus haut, les plans demandés aux chargés de cours et aux professeurs (et plus spécifiquement aux professeurs du BET) sont probablement le meilleur marqueur de la perception d’un « manque d’écoute » : l’administration aurait en effet demandé aux professeurs de leur fournir des idées et des « plans », après s’être rendu compte du manque de place dans le campus. Des plans qui n’auraient pas été pris en compte, selon ces derniers. La présidence n’aurait pas pris en compte le travail de ces professeurs (qu’elle aura elle-même sollicité) et aurait voulu faire passer de force des mesures lors d’une assemblée extraordinaire, qui aurait tourné au chantage. On en rapporte que l’orientation était : « Soit vous acceptez les mesures qu’on a souhaité prendre, soit Paris 3 court à l’effondrement et à la fermeture ». Les professeurs se demandent quelles dispositions, parmi celles qu’ils ont portées, ont été écoutées par la présidence. De quoi empirer les relations, d’autant plus quand le dialogue social n’existe pas.
« On [les enseignants du BET] a l’impression d’être le paillasson de la présidence ».
Bien sûr, rien ne permet de savoir si cette impression est fondée : il est possible que ces conseils, demandés par l’université, aient été en partie écoutés. De la même manière, il est tout à fait possible que ces demandes aient été mal perçues, mal interprétées, par l’un comme l’autre des organes. Ce qui s’est avéré être « une demande de plan de sauvetage » n’était peut-être rien d’autre qu’un appel à conseils, mal formulé. Un problème de communication semble d’autant plus plausible quand on garde en tête le fait qu’il n’y a « pas de dialogue social », dans l’esprit des corps intermédiaires. Ceci étant dit, la sensation qui est donnée aux enseignants divers témoigne du fait que cet événement, avec beaucoup d’autres, a participé à tendre la situation.
La réforme des retraites, pot de départ du président de la Sorbonne Nouvelle
En guise de cadeau d’adieux, le dernier semestre du président va être particulièrement perturbé par la crise des retraites : sur quasiment toute la séquence, l’université sera occupée. Les mois de mars et d’avril seront l’épicentre de toutes les perturbations : blocus, occupations… et fermeture. Décision des plus controversées que celle du président de fermer, le 28 mars, l’université une semaine complète, pour « assurer la continuité pédagogique ». Paradoxalement, dans le cadre des partiels de mi-semestre et d’une université ne pouvant s’organiser qu’au jour le jour, fermer et s’organiser indépendamment des diverses occupations permettait pour lui de stabiliser la situation pour tous les acteurs de la vie universitaire.
Insuffisant pour les étudiants et organisations syndicales : la CGT va porter plainte dans la foulée contre cette décision, pour « atteinte au droit à l’instruction, à la liberté d’expression et de réunion, à la liberté d’aller et venir, au droit à la santé, à la liberté personnelle et à la vie des usagers du service public universitaire ». Pour elle, c’est un moyen d’aseptiser les diverses actions menées par les étudiants. En fermant l’université, toute contestation finit par s’en retrouver imperceptible. Le président défend toutefois sa décision :
Concrètement, quand des étudiant.e.s alignent des poubelles devant les entrées du site, ils/elles en bloquent l’accès. Leur objectif n’est pas de mettre qui que ce soit en danger. Mais quand on doit évacuer rapidement des locaux, les minutes perdues à dégager les accès sont des minutes où les pompiers ne peuvent pas intervenir, des minutes où des bousculades peuvent se produire, ou des blessé.e.s ne peuvent pas être évacué.e.s. Ces situations sont rares mais elles existent et ce n’est pas une fois qu’un drame est survenu qu’il faut regretter de ne pas l’avoir anticipé.
Je comprends la colère, la frustration, le découragement et les difficultés que nos étudiant.e.s expriment et qui dépassent largement l’opposition à la réforme des retraites. (…) Je suis cependant convaincu que l’université ne fait pas partie du problème ; elle fait partie des solutions. Il est possible de mener des formes de mobilisation compatibles avec nos activités pédagogiques, scientifiques, culturelles et sociales et de mener de front études et action politique.
Si l’ensemble de ces poursuites seront rejetées par le tribunal dans leur totalité et que ces mesures peuvent être comprises (que ce soit pour des questions de sécurité ou pour éviter aux étudiants de voir leurs partiels se dérouler dans des conditions déplorables), finir son mandat sur une poursuite pénale pour une question qui aurait aussi bien pu être traitée par un dialogue social est un symbole assez révélateur, pour un président dont l’image est, en interne, celle d’un président sourd et inflexible.
Les professeurs sont l’université… mais ne veulent pas l’être
Tous ces problèmes poussent une majorité des corps de la Sorbonne Nouvelle à chercher à faire passer un message de manière claire : ils ne sont pas la Présidence et ne veulent surtout pas y être assimilés. En assemblée générale, l’épineuse question des étudiants et du rôle qu’ils doivent jouer dans la défense de leurs conditions d’études témoigne d’une chose : les problèmes, qu’importe leurs responsables, parviennent à monter une partie des étudiants et des professeurs les uns contre les autres. Le problème est gigantesque, d’un côté comme de l’autre : les enseignants se plaignent des étudiants, « pas assez investis », qui n’auraient « qu’à lire Libération pour se faire comprendre » et les élèves se plaignent d’enseignants poussés à la faute par l’ensemble du système universitaire, la difficulté de communication des informations, et les décisions aux allures qui paraissent autoritaires de la présidence. Leur relation s’en voit vraiment impactée et la perte de confiance en l’université se traduit en premier lieu, pour eux, par une perte de confiance de ses chargés de cours et enseignants.
Une université de moins en moins compétitive
Des « fake news » dangereuses pour la Sorbonne Nouvelle
Il nous a semblé important d’éluder un certain nombre d’éléments qui n’étaient pas vérifiables et qui ternissent pourtant bel et bien l’image de l’université. Certains d’entre eux étaient même totalement faux, comme l’histoire de la passerelle qui « s’écroulerait » si plus d’une vingtaine d’étudiants la traversaient, particulièrement relayé dans la fac et sur les réseaux sociaux. Cette information a été démentie par l’université dans un mail interne et ne semblait être qu’une rumeur.
De toutes les failles de la Sorbonne Nouvelle je crois que ce qui me termine le + c'est la passerelle qui peut s'effondrer si on est une trentaine dessus NN là c trop pic.twitter.com/zBkOBzrDws
— Luciole💌!!!! (@Lila_Ackerman) September 18, 2022
Cependant, ces « fake news » ne sortent pas complètement de nulle part : si l’on peut croire à une telle absurdité, c’est aussi et surtout à cause des graves incidents de sécurité qui ont eu lieu dans le campus à son ouverture. Ce sont donc des rumeurs fausses nées dans un terreau de problématiques et d’inquiétudes réelles, qui, comme on l’a vu, peuvent authentiquement handicaper les étudiants dans leur parcours universitaire, tout comme elles peuvent vraiment poser des problèmes aux enseignants. Et c’est ici que commence le risque de délaissement de l’université : quel étudiant, quel professeur censé pourrait décider de se rendre dans une université dont la réputation est aussi entachée, dans laquelle ils ne se sentent pas en sécurité et dans laquelle les conditions de travail sont si incertaines ? Sans même parler de la question de la rémunération presque « soumise à conditions » des enseignants, d’autant que des rumeurs circulent sur l’envie de l’université de faire céder aux professeurs la propriété intellectuelle de leurs enseignements. Probablement fausse, cette rumeur révèle assez fidèlement toute l’inquiétude sur le rôle donné aux enseignants qui gravite autour du lieu.
Détruire les professeurs, c’est détruire l’université
Il va sans dire que l’université et son rang est très grandement influencée par les savants et enseignants qui y travaillent. Si ces derniers sont si mal traités, l’université risque de se retrouver dans un cercle vicieux : des enseignants de moins en moins pointus, donc des élèves de plus en plus fuyants, donc des personnels de moins en moins convaincants, etc. C’est une grosse inquiétude, comme on l’entend dans l’Assemblée Générale : « Ceux qui pouvaient partir sont partis. Il ne reste que ceux qui veulent sauver l’université et ceux qui n’avaient pas le choix de rester. » Sorbonne Nouvelle a d’ailleurs dû fermer aux inscriptions un certain nombre de cours, parce qu’elle n’avait plus d’enseignant à disposition pour les dispenser, certains chargés de cours ayant quitté le navire en cours de route.
On parle cependant ici d’un problème structurel à très grande échelle, qui peut autant être attribué à la Sorbonne Nouvelle qu’à n’importe quelle autre université : il n’est dans notre cas qu’exacerbé. Le système de paiement en différé comme les salaires très faibles sont d’ailleurs de parfaits exemples de la déliquescence du l’enseignement supérieur public, qu’une rubrique d’un article ne suffirait pas à aborder. Mais il est tant marqué ici qu’il en devient très inquiétant : cette université flambant neuve pourrait se retrouver prise dans une spirale d’effets aux conséquences délétères et devenir un nouvel argument, autant pour les étudiants que pour les enseignants, pour défendre le privé.
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Mon expérience de la Sorbonne Nouvelle : entre tristesse et dépit
La Sorbonne Nouvelle, un potentiel gâché
Cet article est à la fois un récit personnel et impersonnel : j’ai en effet intégré l’Université Sorbonne Nouvelle en 2020, dans une licence Information-Communication avec une mineure Allemand et j’écris cet article dans le cadre de mon stage de fin de licence. Tous ces problèmes sont donc des problèmes que j’ai, directement ou indirectement, dû affronter. C’est ici un témoignage de ce que j’ai été amené à voir, au sein de mon département, des difficultés que mes camarades et moi avons dû traverser, que j’ai construit en partie en écoutant les revendications de mes professeurs, des représentants de toutes les communautés universitaires, etc. C’est aussi pourquoi cet article n’a pas la prétention d’être exhaustif et évoquer tous les problèmes qui y existent (car je pense pouvoir affirmer qu’il existe bien d’autres problématiques qui y sont reliées).
S’il m’a semblé important d’aborder ce sujet, c’est surtout car traverser une licence à la Sorbonne Nouvelle fut pour moi une succession de désillusions : si le rôle de l’université est un rôle d’émancipation intellectuelle, de vie et d’émulsion (d’où le gigantesque problème posé par son élitisme et sa sélectivité), les conditions d’enseignement y sont telles qu’elle semble avoir été transformée en « machine à délivrer des diplômes« , ces trois dernières années.
Elle est pourtant pleine d’enseignants dont l’expertise et la compétence n’est pas à prouver, qui sont reconnus par leurs pairs et dont les théories sont parfois même enseignées, dans leur propre université. Mais il semble que tous les problèmes venus parasiter sa vie (les fermetures de l’université à répétition, cette année et à la fin de l’année dernière, le COVID, l’absence de recherche et la perte de confiance en l’administration), l’aient dévoyée de sa fonction première.
Croire en la renaissance de la Sorbonne Nouvelle
Si les étudiants et enseignants se sont souvent retrouvés les uns face aux autres, ils semblent partager malgré tout une chose : la colère de n’avoir pu faire de ce lieu un lieu de foisonnement et de vie intellectuelle. Car ce n’est pas avec des QCM en distanciel et des cours asynchrones que la Sorbonne Nouvelle fera vivre la recherche.
Aussi contradictoire que cela puisse paraître, j’ai cette année postulé en master à cette université, car le potentiel des formations qui y sont dispensées et des professionnels auxquels elle recourt est très grand, en particulier dans les domaines de la communication et du journalisme. Un futur plus apaisé pourrait permettre de faire vivre cette université et ses chercheurs de manière plus sereine et pertinente.
Je souhaite donc sincèrement bon courage à Daniel Mouchard et Evelyne Ricci, élus présidents et vice-présidentes de l’université en avril dernier, qui n’auront d’autre choix que de porter un renouveau dans l’université, en relevant un défi des plus corsés : sauver la cote de popularité d’un établissement qui a pu décevoir.
Sollicitée une semaine avant la publication de notre article, l’Université Sorbonne Nouvelle nous a recontactés mais n’a pas finalement pas donné suite à nos demandes d’entretien. Nous restons toutefois à entière disposition de la Présidence si cette dernière souhaite exercer son droit de réponse.