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Salto, un échec prévisible et inévitable

Il y a quelques jours, une réunion extraordinaire avait lieu pour décider de l’avenir de Salto. Depuis sa création, les résultats financiers de la plateforme de streaming ne font que dégringoler. Aujourd’hui en attente d’un repreneur, Salto pourrait vivre ses dernières heures. Pourtant, cet échec était totalement prévisible.

 

La stratégie (trop) ambitieuse de Salto

La volonté de Salto était claire : s’imposer comme « le nouveau Netflix ». En 2020, lorsque la plateforme sort de terre, de nombreux articles titrent d’ailleurs sur les ambitions de ce site qui, tels les Avengers du PAF, devait réunir les plus grands acteurs de la télévision française : TF1, M6 et France Télévisions. Salto s’imaginait déjà concurrencer Netflix, avec un premier investissement de 130 millions d’euros et même un budget de 250 millions d’euros sur trois ans, comme le révèle le journal Les Échos.

Mais les services de streaming ne sont pas les seuls à être la cible de Salto, qui propose un positionnement plutôt original : des contenus en SVOD et la possibilité de regarder les chaînes des trois groupes en direct et en différé. Avec ce choix stratégique, Salto entre en concurrence frontale avec une autre plateforme qui grappille des clients potentiels : Molotov TV.

 

Molotov TV : une plateforme qui fascine et qui inquiète

Avant de poursuivre sur les raisons de l’échec de Salto, il convient de faire un focus sur Molotov TV. Pourquoi ? Parce que les deux histoires pourraient être liées. En effet, à sa sortie en 2016, Molotov démontre qu’il est possible de proposer une autre consommation de la télévision qui se rapproche plus de ce que propose le streaming : affichage clair des programmes passés, présents et futurs, possibilité de reprendre son contenu là où l’a arrêté, même pour la télévision en direct, possibilité de revenir en arrière…

Ce modèle fascine les chaînes françaises et c’est normal. Avec Molotov TV, on répond enfin aux nouvelles habitudes des nouvelles générations qui recherchent des moyens de consommer la télévision différemment, notamment avec une approche plus délinéarisée et plus nomade. Mais c’est également un excellent moyen de remettre en lumière les programmes.

À son arrivée, Molotov représente une aubaine pour les grands groupes français de la télévision qui veulent reconquérir un public plus jeune qui s’est détourné de la télévision. Néanmoins, ce qui représente une opportunité représente également une menace. Car si Salto est sorti de terre en 2020, la volonté de créer un service de streaming français remonte aux années 2012, date à laquelle Jean-David Blanc commence à imaginer Molotov TV.

Si le timing peut être pure coïncidence, il convient toutefois de se demander pourquoi les chaînes de télévision ont décidé d’augmenter drastiquement le coût de diffusion auprès de Molotov TV dans les mois qui précèdent et suivent le lancement de Salto. Alors que la plateforme de streaming française commence à demander de payer pour accéder aux chaînes et aux replays, les grands groupes poussent également Molotov à mettre en place un paywall pour accéder aux fréquences des groupes M6 et TF1.

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Les débuts chaotiques de Salto

Demander à Molotov de faire payer des utilisateurs qui avaient accès à des contenus gratuits ne suffira pas à faire venir les utilisateurs sur Salto. En effet, la plateforme de streaming proposait des fonctionnalités peu ou prou similaires : possibilité de mettre en pause ou de revenir en arrière pendant le direct, replays prolongés, mise en avant premium du contenu… Il fallait donc séduire et proposer quelque chose de différent. Et pour ce faire, il faudra attendre deux ans !

La première présentation de Salto prend place le 15 juin 2018. L’objectif est clairement de se positionner sur le streaming, un créneau que les groupes revendiquent au début, se targuant même, dans un communiqué du 10 mars 2021, d’attirer « 1 nouvel abonné français sur 5 à des offres de streaming ». Le discours a changé récemment, puisque les dirigeants expliquent depuis peu que ce n’était pas vraiment le positionnement de Salto et que la volonté n’a jamais été de concurrencer frontalement Netflix.

Tu l’as peut-être deviné, mais il se sera écoulé deux ans entre l’annonce et la sortie de la plateforme. En 2020, à la fin du mois d’octobre, Salto sort de terre, quelques mois avant le confinement qui a représenté une aubaine pour tous les services de streaming… sauf Salto !

Les résultats financiers de la plateforme sont en effet catastrophiques. Si, en 2019, le résultat net de Salto est de -1,69 million d’euros, un chiffre logique qui s’explique par le fait qu’il n’y avait encore aucun abonné, c’est en 2020 que le constat est bien plus douloureux. Cette année-là, époque faste de la SVOD, Salto signe un CA de 255 000 euros et un résultat net de -32,4 millions d’euros. En 2021, les pertes atteignent les 42 millions.

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Les raisons de l’échec de Salto, et pourquoi celui-ci était prévisible

Dans article paru le 3 février sur le Télégramme, plusieurs experts arguent que l’échec de Salto est en partie dû au fait que la plateforme a été lancée trop tardivement. Ce constat n’est pas entièrement vrai et occulte une partie de la vérité. En effet, alors que la moitié de la planète était confinée, Netflix connaît un bénéfice net de 1,35 milliard de dollars à travers le monde, quand les profits d’Amazon Prime Vidéo triplent.

Les autres raisons qui expliquent l’échec de Salto, c’est son catalogue trop peu attractif, surtout lorsqu’il est comparé au prix qu’il faut débourser mensuellement pour s’abonner à la plateforme. À sa sortie, l’abonnement à Salto pour un écran/utilisateur est de 6,99€, soit le même montant que l’abonnement famille de Disney+ lancé six mois plus tard. Si Salto veut mettre en avant la production française, beaucoup se moquent d’un abonnement à 7€ par mois pour regarder des replays de Joséphine Ange Gardien ou Camping Paradis.

Rapidement, Salto acquiert une partie des droits de diffusion de séries télévisées de The CW, à l’image du reboot Charmed ou celui de Superman et Loïs. Manque de chance, cet investissement est réalisé au moment où la chaîne américaine déprogramme une grande partie de ses séries… par manque d’audience ! Ainsi, la plateforme Salto se retrouve avec un grand catalogue de contenus français ou de productions qui n’arrivent pas à leur conclusion, car annulées par les networks américains. Quelques épisodes spéciaux viennent toutefois attirer quelques curieux, à l’image de l’épisode anniversaire de la série Friends.

Par rapport à ses concurrents, que ce soit Molotov ou Netflix, les investissements dans Salto sont également dérisoires. Compter 250 millions sur trois ans, quand le groupe TF1, à lui seul, investit 150 millions par an sur ses productions originales. Si le catalogue en pâtit, l’interface chaotique n’aide pas à fidéliser les abonnés.

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Salto : quand l’ennemi vient de l’intérieur

L’autre raison de l’échec de Salto vient de la concurrence qui n’est pas externe, mais bel et bien interne à la plateforme. Alors même que les grands groupes de télévision, tous actionnaires à 33% de Salto, tentent de faire la promotion de leur service de streaming, ils lancent, en marge, des offres indépendantes proposant les mêmes contenus et fonctionnalités. Un véritable cannibalisme de la part de groupes qui démontrent clairement qu’ils ne croient plus en leur projet moins de 2 ans après son lancement.

Ainsi, alors que TF1 donne la possibilité de regarder ses chaînes et les replays de ses programmes sur Salto, l’institution lance un dispositif similaire, baptisé MYTF1 MAX. Cette offre concurrence même la plateforme de streaming sur les prix, puisqu’elle propose un accès aux programmes du groupe pour 2,99€ par mois. Rapidement, on peut retrouver 6play max. GulliMax est lancé dans la foulée avec le même catalogue que sur Salto, mais une interface bien mieux pensée.

Ces diverses offres ont non seulement ébranlé Salto, mais elles ont également provoqué l’immobilisme des parties prenantes du site, par l’annonce de la fusion TF1-M6. Alors que ce projet laisse clairement penser que les deux entités vont se retirer de Salto, le lancement d’offres concurrentes de la part de TF1et M6 achève de convaincre France Télévision qu’il faut se retirer du projet.

Dans un communiqué, on peut alors lire : « Par l’accord signé ce jour, les groupes TF1 et M6 s’engagent, en cas de réalisation de leur projet de fusion, à racheter la participation de 33,33 % de France Télévisions pour une valeur définitive de 45M€. Le nouveau groupe détiendrait alors 100 % de Salto pour développer un projet de streaming. » Une valorisation complètement surréaliste au regard de l’EBITDA de Salto en 2020 : -24,4 millions d’euros.

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Quel avenir pour Salto ?

Il faut dire que l’avenir semble plutôt sombre pour Salto. Si TF1 et M6 ont la liberté d’investir dans les projets qu’ils souhaitent, France Télévision, groupe d’audiovisuel public, a mis énormément d’argent sur la table. Dans un bulletin publié sur le site du Sénat, il est précisé : « Roger Karoutchi [rapporteur spécial des crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », NDLR] souhaite désormais que le coût de cet investissement absurde soit actualisé et transmis au Parlement dans les plus brefs délais. »

À la recherche d’un repreneur après des résultats catastrophiques et de dépenses jugées excessives, notamment pour un organisme public, un seul candidat se présente : Agile, groupe d’audiovisuel espagnol. Pourtant, la seule issue aujourd’hui semble la dissolution de Salto avec cession des actifs. Aujourd’hui, l’Informé indique que Salto perdrait 6 millions d’euros par mois.

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