Coupe du monde de rugby
Analyse Sports

Coupe du monde de rugby : un business comme les autres ?

Cette année, plus que jamais, la Coupe du monde de rugby à XV au Japon est source de nombreux enjeux. Elle est tout d’abord l’occasion pour World Rugby de populariser un sport qui n’est pas très populaire dans ce continent. Mais cette ouverture à l’Asie cache des enjeux business majeurs tels que la rentabilisation des droits TV pour les diffuseurs. Décryptage.

 

Le rugby est-il un business comme un autre ? Il suffit de regarder les chiffres impressionnants du budget des clubs du Top 14 pour comprendre que la réponse est positive. Le professeur Jérôme Boissel, professeur de marketing à La Rochelle Business School, résume assez simplement : « les supporters pensent que c’est du sport, mais à partir du moment où les matchs sont devenus payants, c’est devenu un business comme un autre ».

 

Le business de la Coupe du monde de rugby

Née en 1987, la première Coupe du monde de rugby à XV a propulsé ce sport dans la sphère professionnelle. Trente ans plus tard, un véritable business s’est organisé autour de cet événement. « Pour avoir le droit d’organiser cette compétition, le comité organisateur doit reverser 170 millions d’euros à World Rugby. Il s’agit d’un minimum de recettes garanties. Et ce montant ne couvre pas les frais engendrés par la mise à niveau des stades et des infrastructures. »

En 2015, la Coupe du monde de rugby à XV avait permis à World Rugby de générer 210 millions d’euros de bénéfices. L’Angleterre, pays organisateur de cet événement, estimait les retombées économiques à 1,1 milliard de livres.

En France, l’organisation de l’événement se prépare pour 2023. Le comité reversera 172,5 millions euros de redevance à World Rugby. Les collectivités devraient mettre sur la table environ 90 millions d’euros (dont 25,5 uniquement de la part de l’État). Le budget opérationnel de France 2023 est estimé à 146 millions d’euros. Côté recettes, la billetterie devrait rapporter dans les 370 millions d’euros. Les bénéfices nets attendus sont de l’ordre de 68 millions d’euros.

 

L’héritage des événements sportifs

Mais toutes ces dépenses posent une problématique plus globale qui touche de nombreux événements de cette ampleur : la pérennisation des équipements. Tout le monde se souvient du cas de la Grèce, qui accueillait les Jeux olympiques en 2004.

Alors que l’État n’avait prévu de dépenser que 4,5 milliards d’euros, il déboursera 8,95 milliards (soit presque le double) uniquement pour la construction des complexes sportifs ! Ce montant ne prend pas en compte les infrastructures comme l’autoroute, le tramway ou encore la création de nouvelles lignes de métro. Bassin d’entraînement, parcours canoë-kayak… Finalement, la majorité des infrastructures n’a plus été exploitée après 2004.

Au Japon, la question de la rentabilité des équipements sportifs ne se pose pas. « Les stades sont à dimension humaine, entre 30 000 et 50 000 places. Ils accueillent déjà des compétitions nationales et internationales de baseball et de rugby », précise Jérôme Boissel.

 

Coupe du monde : un atout pour la pratique amateur ?

Plus que l’investissement dans les infrastructures, ces événements permettent de populariser un sport et d’augmenter considérablement le nombre de licenciés. À la fin de l’été 2019, de nombreux clubs de football ont vu le nombre de joueuses augmenter suite à la Coupe du monde de football féminine.

Côté rugby, une partie des bénéfices sera redistribuée vers la pratique au niveau amateur, notamment dans les zones où le sport est moins développé comme l’Afrique, mais également en Asie où le rugby est moins pratiqué.

Ce continent est d’ailleurs un terrain d’enjeux pour World Rugby qui a du mal à séduire les habitants de cette zone du globe. « World Rugby a choisi le Japon pour récupérer le marché asiatique. Lorsque ce pays a candidaté, l’un de ses arguments de poids était le fait qu’il représentait la porte d’entrée vers l’Asie. À la différence du foot, le rugby n’est que peu pratiqué en Chine ou en Inde. Cela représente tout de même presque 30% de la population mondiale ! »

 

Le rugby : un sport peu attractif ?

Si la pratique est assez populaire dans de nombreuses zones du globe, comme l’Angleterre, le rugby manque cruellement de notoriété à l’échelle internationale. Déjà au Japon, « le rugby est un sport plutôt universitaire et réservé aux familles aisées. Ainsi, se posait la question du succès populaire de cette compétition », observe Jérôme Boissel. Malgré tout, il est important de noter que les matchs se jouent à guichets fermés (même si les stades ont des capacités d’accueil moins importantes que lors des précédentes éditions de la Coupe du monde de rugby à XV).

Et la question de la popularité du rugby se pose désormais aussi en France, un pays rugbynistique pourtant. Il s’agit là d’une problématique importante, surtout en France, quand on sait que le groupe TF1, unique diffuseur de l’événement, a déboursé 45 millions d’euros. Il suffit de comparer les scores d’audiences entre les quarts de finale d’une Coupe du monde de football et de rugby pour comprendre que l’investissement n’est pas forcément intéressant pour un groupe qui s’est refusé à réaliser sous-licencier ses droits auprès d’autres chaînes.

Les quarts de finale, diffusés ce week-end, avec la France en tête d’affiche, ont séduit 6,7 millions de téléspectateurs, obtenant ainsi 62,9% de parts d’audience pour un match diffusé un samedi matin, à un horaire où les programmes sont assez peu concurrentiels. Diffusés un vendredi après-midi, les quarts de finale France-Uruguay de la Coupe du monde de football ont rassemblé 12,9 millions de téléspectateurs (soit presque deux fois plus, pour un match diffusé en pleine journée ouvrée). Au total, cet événement atteint une PDA de 76%.

Il devenait donc difficile pour le groupe TF1 de justifier les 85 000€ demandés pour 30 secondes d’espace publicitaire pour le premier écran pendant la première mi-temps lors de la finale, si la France n’est pas qualifiée (soit presque deux fois plus que pour les programmes les plus populaires de TF1). À titre de comparaison, pour la finale de la Coupe du monde de rugby à XV de 2015, la chaîne réclamait 43 000€ pour le même créneau. Finalement, le groupe rétropédalera et propose désormais les 30 secondes d’espace publicitaire à 50 000€.

 

Une baisse du nombre d’initiés

Plus que les téléspectateurs, le rugby commence également à moins séduire les pratiquants. En effet, chez les initiés, il n’y a pas d’effet « Coupe du monde ». Le nombre d’inscrits baisse même en France depuis plusieurs années. Le rapport de World Rugby de 2019 est édifiant : la Fédération française de rugby perd un nombre important de pratiquants en club depuis deux ans. Pour la saison 2016-2017, on comptait 290 000 licenciés pour seulement 258 247 sur la période 2017-2018.

Jérôme Boissel observe plusieurs problèmes. Tout d’abord l’image qu’a le sport auprès du grand public, avec notamment toute l’inquiétude liée aux blessures et autres commotions cérébrales. L’autre problématique est la gouvernance entre la Ligue Nationale de Rugby qui gère les clubs de rugby professionnels et la FFR qui s’occupe des clubs amateurs.

L’autre constat, c’est le manque d’investissement des pouvoirs publics dans la promotion de ce sport. Si le foot bénéficie d’une notoriété assez naturelle, le rugby aurait pu profiter d’une mise en avant par les communes. « C’est une occasion manquée. Les prochaines inscriptions seront dans onze mois. Si on met un ballon dans les mains d’un enfant ou qu’on organise même un tournoi inter-écoles pendant la Coupe du monde, les enfants seront sensibilisés, auront envie de regarder les matchs et de s’inscrire à ce sport l’année qui suit. »

 

Coupe du monde au Japon : le rugby propulsé dans le 21e siècle

Contrairement aux précédentes éditions, la compétition cette année sera hautement marquée par la technologie. « Le marketing reflète le pays. Il est tourné vers la tradition, mais montre des stades entièrement rénovés pour les consommateurs des années 2020. »

La compétition sera en partie marquée par l’héritage, une des valeurs du Japon. Ainsi, un des stades qui accueille la Coupe du monde se situe au cœur de Kamaishi, une ville entièrement ravagée par le grand tsunami de 2011.

Mais le Japon est également un haut hub de technologie et le pays le met en avant dans cette Coupe du monde 4.0. Outre les stades avec toit rétractable, les rugbymen ont joué dans un complexe où le terrain, disposé sur un système aéroglissant, permet aux organisateurs de choisir entre un sol synthétique et une pelouse naturelle qui pousse à l’extérieur du stade.

World Rugby souhaite profiter de cette compétition pour proposer une nouvelle expérience aux spectateurs. « Avec le smartphone, vous pouvez assister à des ralentis quasiment en temps réel. L’objectif est de propulser le rugby dans l’ère post-moderne et rien de mieux qu’une vitrine comme la Coupe du monde pour populariser ces innovations. » La marque Canon s’y est également mise en proposant un dispositif ultra-immersif, permettant aux téléspectateurs d’être au cœur de l’action.

 

 

Autant d’innovations qui constituent un moyen pour le Japon d’attirer les supporters dans un pays qui n’est pas rugbinistique à l’origine. L’autre enjeu phare pour le pays : le tourisme. En effet, le pays du soleil levant entend profiter de la Coupe du monde, puis des Jeux olympiques l’an prochain, pour relancer le tourisme dans des zones, encore sinistrées il y a peu, comme Kamaishi.

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