Au sein du CAC40, seules deux femmes sont présidentes du conseil d’administration d’une entreprise. Nous retrouvons Barbara Dalibard, nommée fin 2020 chez Michelin, et Angeles Garcia-Poveda. Cette diplômée de NEOMA a pris la présidence du conseil d’administration de Legrand en juillet 2020. Elle revient sur son parcours, sur son quotidien, mais aussi sur le fait d’être une femme dans le monde de l’entreprise.
Le parcours d’Angeles Garcia-Poveda
Quel est votre parcours académique ?
J’ai grandi en Espagne et j’ai été formée dans une école bilingue. J’ai donc été francophone assez rapidement. J’ai choisi de poursuivre mes études en école de commerce et j’ai rejoint le programme E4 qui me permettait de réaliser un double-diplôme avec un certain nombre de grandes écoles et universités européennes, dont NEOMA. J’ai donc passé deux années à Reims, puis deux années à Madrid.
À la sortie de l’école, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire. J’étais jeune et j’affichais un parcours financier. J’ai donc été recrutée par une petite société de bourse, rachetée depuis par Morgan Stanley, qui recherchait des analystes. J’avais un été devant moi et j’ai donc envoyé ma candidature pour un programme spécial de Harvard qui prépare ceux qui souhaitent intégrer le MBA en septembre. J’ai passé deux mois extraordinaires sur le campus de Harvard et j’en garde de très bons souvenirs.
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Après l’expérience en tant qu’analyste, vous vous êtes directement orienté vers le conseil et le BCG. Pourquoi ?
J’ai appris beaucoup de choses sur la valorisation, les modèles de marché… L’apprentissage était extrêmement rapide, mais, avant de passer à l’étape suivante, j’étais condamnée à répéter plusieurs tâches que j’avais déjà faites. J’ai croisé la route du BCG et je ne m’étais pas préparée pour le premier tour. Puis, j’ai découvert une entreprise profondément humaine. J’ai donc attendu pour savoir si j’étais convoquée au deuxième tour. Quand j’ai reçu l’appel pour dire que j’étais prise, je me suis préparée et j’ai obtenu le poste !
J’ai donc intégré le BCG à Madrid où j’étais la seule et première femme consultante au sein d’une petite équipe. J’ai été transférée au bureau de Paris pour suivre celui qui est devenu mon mari et avec qui je suis restée mariée pendant 17 ans. J’ai passé 14 ans en tant que consultante au BCG avant de bifurquer vers les ressources humaines. Entre-temps, je suis devenue maman de trois enfants. Ma deuxième fille étant porteuse d’un handicap, le BCG m’a donné la possibilité de partir pendant trois ans. Ça m’a été bénéfique dans ma carrière. J’en ai profité pour approfondir mes connaissances sur les méthodes de rééducation et j’ai monté une petite équipe qui s’occupait de ma fille et d’autres enfants.
Et c’est après cette expérience que vous avez décidé de vivre une autre vie ?
C’est un travail fascinant, mais je me suis rendu compte que je n’étais plus au contact du client, une notion que j’ai toujours entretenue. Je décide de changer de métier et de m’orienter vers le conseil en leadership et en gouvernance et j’atterris chez Spencer Stuart. Je découvre un métier qui me passionne où on peut avoir un impact énorme sur les entreprises. Je découvre aussi que je suis un manager et je suis rapidement nommée à la tête de la France, puis je prends la direction de l’Europe dont je m’occupe pendant trois ans.
Comment êtes-vous arrivée à votre poste de Présidente du CA de Legrand ?
Spencer Stuart est une société privée et les associés élisent les représentants au conseil d’administration. Je suis élue au CA et j’y reste pendant trois ans. En parallèle commence à naître en moi un autre germe, celui d’administratrice. À la faveur de la loi Copé-Zimmerman, je suis contactée en 2012 pour être candidate au conseil de Legrand par l’intermédiaire de Jacques Garaïalde, investisseur de Legrand et ancien de BCG. Je passe donc les process et je rejoins le conseil de Legrand en 2012.
Depuis, les choses s’accélèrent et les responsabilités augmentent. Entre le départ de deux investisseurs et le passage de témoin entre les DG, on me demande si je veux être candidate en tant que présidente. Le conseil d’administration vote en ma faveur et les actionnaires ratifient la décision. Je prends donc mon poste le 1er juillet 2020.
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Être à la tête du CA d’une entreprise du CAC40
À quoi ressemble le quotidien d’une femme à la tête du CA d’une entreprise du CAC40 ?
Il n’y a pas deux journées qui se ressemblent. Je ne suis pas exécutive, donc mon degré d’implication chez Legrand dépend des cycles de gouvernance ou de l’actualité. Il y a des périodes de l’année où je suis beaucoup plus active.
J’ai le même quotidien que n’importe quel membre de famille qui travaille. On a relativement peu de temps pour soi. On donne beaucoup de temps au travail et à sa famille. Je me lève plutôt tôt, j’essaie de pas trop me coucher trop tard. Il est rare que je prenne des engagements sociaux. Mes journées débutent vers 8h à 8h30 au plus tard. J’essaie de fermer boutique, sauf problème majeur, entre 19h et 20h. Ensuite, c’est un temps de famille. Si j’ai des choses à terminer, j’essaie de le faire plus tard. Cependant, je n’ai pas le même rythme d’absence que lorsque j’étais patronne Europe de Spencer Stuart.
Est-ce facile d’avoir une vie perso ?
L’équilibre est important à tout point de vue : le sport, la façon dont on se nourrit et le fait d’avoir des interactions sociales. Je cultive ces aspects-là avec des amis fidèles.
J’essaie d’ouvrir mon esprit grâce à deux choses : je lis beaucoup, aussi bien des lectures de pur plaisir, des romans à la poésie. L’art fait beaucoup de bien au business. Mais je fais aussi des activités manuelles : j’adore la cuisine, jardiner, réaliser des activités avec ma fille dans le cadre de sa rééducation.
Être parent, tout en étant présidente du conseil d’administration d’une entreprise du CAC40, c’est possible ?
Avoir une vie personnelle et professionnelle pleine, même sans être une femme, est toujours compliqué. On peut tout faire, mais ce n’est pas facile, surtout quand on est à la tête d’une famille de trois enfants. J’ai eu des moments où, dans ma carrière, j’avais l’impression de ne pas être là où je devais être. J’ai fait des choses folles ! Un jour, je suis arrivé à moto au spectacle de mon dernier. J’étais tellement stressée et en retard que j’ai oublié d’enlever mon casque.
On me pose toujours la question sur ma manière d’équilibrer ma vie personnelle et ma vie professionnelle. Je réponds deux choses :
- Je n’ai jamais réussi à l’équilibrer. J’ai réussi à apprendre à vivre dans le déséquilibre, sans que ce soit un problème. L’avantage, c’est que le déséquilibre ne va que rarement dans un seul sens. Dans les moments importants, pro ou perso, j’ai toujours été là. J’ai appris à embrasser le déséquilibre au lieu de le subir. Ce n’est pas grave, tant qu’on est passionné par ce qu’on fait. J’y arrive, car j’aime l’entreprise dans laquelle je suis.
- Il est important de mesurer ses niveaux d’énergie. Il arrive un moment où je ne suis plus suffisamment efficace si je ne recharge pas mes batteries. Chacun doit trouver, chez soi, ce qui permet de recharger l’énergie. Quand on sent qu’il y a ce point de rupture, il faut se donner du temps : ça peut être une journée, quelques heures… Mais il faut savoir mettre le reste entre parenthèses. On vit dans un monde qui nous sollicite beaucoup. Nous sommes connectés 24h/24. Il faut s’octroyer ce droit-là.
Du plafond de verre à la présidence du conseil d’administration d’une entreprise du CAC40
N’est-ce pas plus compliqué de gravir les échelons quand on est une femme ?
Je ne me suis pas beaucoup posé la question, car je n’avais peut-être pas envie d’entendre la réponse. J’ai eu la chance d’intégrer des entreprises qui étaient formidablement méritocratiques et ça aide. Si vous êtes mesurés uniquement par les résultats, il n’y a pas de problème. Elles avaient toutes des cultures bienveillantes. J’ai eu la chance d’avoir de très bons patrons. Ça compte aussi, car ils vous aspirent dans leur trajectoire. Je ne laissais vraiment pas de place à cette question. J’ai toujours mis un pied devant l’autre. Parfois je doutais et je doute toujours. Le doute est le commencement de la sagesse.
Je n’ai pas été confrontée à cela, mais je me suis toujours mis beaucoup de pression. À chaque fois que j’arrivais dans une équipe ou une entreprise, j’étais toujours la seule femme et souvent la première femme. Cette question relève toujours de l’ordre de l’inconscient, mais c’est toujours présent. Les préjugés existent. Je discutais avec une femme qui me parlait du concept de micro-agressions et on se rend compte qu’il y a encore du travail.
Est-ce plus dur pour les femmes ? Oui, c’est plus dur ! Quand on voit la répartition des tâches à la maison, à quel point c’est déséquilibré, mais aussi les commentaires que l’on peut lire quand une femme arrive à un poste à responsabilités, des commentaires qu’on n’entend jamais pour les hommes, on se rend compte que c’est plus dur pour les femmes. Heureusement, la génération de mes enfants est plus sensible à ce sujet.
Tout savoir sur Legrand
Legrand, c’est un spécialiste mondial des infrastructures électriques et numériques du bâtiment. Notre raison d’être est liée à notre modèle d’affaires : améliorer la vie en transformant les espaces où les gens vivent, travaillent et se rencontrent (maisons et appartements, datacenters, bureaux, centres commerciaux, usines, etc.), avec des infrastructures électriques et numériques et des solutions connectées simples, innovantes et durables. Nous sommes présents dans près de 90 pays. Notre approche est basée sur les leaderships notamment au sein de marchés de niches. Nos deux moteurs sont la croissance organique et la croissance externe, avec une grande exigence en termes de rentabilité.
Notre modèle s’est montré résilient lors des différentes crises et permet par ailleurs de saisir les opportunités de croissance, une fois ces crises passées, comme en 2021. Nous sommes un acteur du numérique et de l’électrique surtout connu pour ses prises et ses interrupteurs, mais nous nous positionnons liés à des tendances nouvelles, comme les data centers, les solutions pour l’efficacité énergétique ou encore les solutions connectées qui améliorent le confort à la maison par exemple. A ce titre, nous avons fait des acquisitions récentes dans la recharge de véhicules électriques et dans les objets connectés.
Nous sommes extrêmement engagés. Nous allons présenter notre cinquième feuille de route RSE qui affiche des objectifs ambitieux. Nos instances de Directions comptent en moyenne 40% de profils féminins quand celle du CAC40 est plutôt autour de 23%. Nous nous ancrons aussi dans le territoire puisque nous sommes une des deux seules entreprises du CAC40, avec Michelin, à avoir son siège en région. Nous sommes basés à Limoges et nous en sommes très fiers !