C’est une annonce qui a fait grand bruit dans l’univers de la French Tech : Frichti va être racheté par Gorillas. Avec l’essor des dark kitchens et des dark stores, les acteurs se sont multipliés en France : Cajoo, Flink, Getir, Gopuff. Après avoir cherché son modèle pendant plusieurs années, Frichti profite donc de ce rachat pour s’internationaliser.
Alors que la rumeur courait depuis plusieurs jours, les fondateurs de Frichti ont annoncé le rachat de la startup par Gorillas, le géant allemand des dark stores et de la livraison de courses à domicile. Six ans après sa création, la jeune pousse qui peinait à exister au sein de son marché sera donc absorbée par Gorillas, tout en conservant sa marque, pour l’instant.
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Frichti et la difficulté de trouver un business model
Il faut dire que Frichti s’est beaucoup cherché au fil des années et Julia Bijaoui et Quentin Vacher (cofondateurs de la startup) se sont mis sur le tard sur un créneau qui commençait déjà à être saturé : le quick commerce. À ses débuts, Frichti proposait des plats déjà prêts, à réchauffer. Cette alternative saine aux repas préparés que l’on trouve en supermarché ciblait avant tout les actifs. La sauce a pris, mais ce n’était pas assez pour la startup qui s’est développée progressivement pour proposer des kits de plats à préparer soi-même.
En 2018, après deux ans à se chercher, nouveau changement de business model, avec la livraison de courses. L’objectif était toujours de miser sur l’alternative saine et responsable, une stratégie qui restera malgré les années et les changements de modèle. La startup livrera tantôt des plats de chefs partenaires, puis se mettra à proposer des produits made in Frichti.
Tout au long de sa courte vie, la startup de Julia Bijaoui et de Quentin Vacher a affirmé à grands coups de communication sur les réseaux sociaux ou dans le métro que la ligne directrice de Frichti était le côté sain et responsable. Les deux entrepreneurs ont en effet maintenu que ces dimensions étaient ce qui guidait tous les collaborateurs d’une startup dont le slogan est « Aimez bien manger – Pour vous et pour la planète. » Cependant, la réalité est bien différente de ce que les campagnes de communication peuvent montrer.
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Les polémiques autour de Frichti
Les polémiques autour de Frichti sont légion. Cela commence par la création d’un compte Twitter en octobre 2019 nommé « Frichti CA SUFFIT ». L’objectif de cet internaute ? Dénoncer l’hypocrisie d’une startup qui assure que tous ses livreurs circulent à vélo ou en scooter électrique, sur son site internet. L’information est difficile à vérifier puisque ces derniers sont quasiment laissés à eux-mêmes, guidés uniquement par des ordinateurs et les managers des dark stores. En réalité, nombre de livreurs utilisent des scooters thermiques, voire des voitures.
Avec son compte Twitter, @Frichticasuffit met également en lumière les différentes décisions de communes qui souhaitent de plus en plus réguler le marché du quick commerce et l’installation des dark stores. Le rachat tombe à point nommé pour Frichti puisque la mairie de Paris entend s’attaquer à ce sujet dès 2022. De son côté, Lyon bloque l’arrivée des dark stores, une problématique que Frichti n’a plus besoin de traiter actuellement.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul compte Twitter créé pour dénoncer l’hypocrisie de Frichti ou les conditions de travail des livreurs. D’autres internautes se sont également insurgés contre les pratiques de la startup, à l’image de @frichtigate ou @frichti2 qui dénonce définit la startup comme étant un « Esclavagiste éhonté, Exploiteur de précarité, Livreur de mensonges« .
Le coup de grâce pour Frichti tombe lorsqu’un lecteur de Mediapart parle de son expérience de livreur pour la startup. Il débutera d’ailleurs son article par cette phrase : « la start-up française Frichti est sans doute PIRE que les étrangères Deliveroo ou Uber Eats. » Dans ce billet, il évoque ce qu’il appelle l’exploitation des coursiers de Frichti avec des délais de livraison beaucoup trop courts, pénalisant les livreurs, mais aussi la présence de trop nombreuses personnes dédiées à la livraison, obligeant à « se battre virtuellement sur un site internet, cliquer sur les shifts pour réserver une place. »
Finalement, ce livreur indique qu’il ne gagnait que 1200€ par mois, en travaillant 7 jours sur 7, 7 heures par jour, avec une pause de 3 heures le midi. Il évoque au passage le racisme qu’il a pu entrapercevoir, notamment dans les entrepôts de Frichti. Il témoigne de son expérience devant ce que les livreurs appellent un « hub » : « Un manager débarque en furie : « Les gars, il va falloir pisser dans le trou ! Sinon plus d’accès aux chiottes ! Vous savez quoi ? Ça, c’est depuis qu’il y a que des blédards ici. Avant, quand il y avait des Français, c’était pas comme ça ! »
L’autre polémique soulevée ces dernières années est le recrutement de livreurs qui étaient sans papier. Ce problème, un sénateur PS s’en était saisi au point de réaliser un signalement en justice. Ce sujet avait éclaté alors que Frichti était en pleine tourmente et faisait face à une lutte syndicale. La startup avait d’ailleurs tenu à régulariser une partie des livreurs et à indemniser les autres.
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Rachat de Frichti par Gorillas : plus qu’une question d’internationalisation, une question de survie
Finalement, si Frichti assure que les salariés ne seront pas impactés par cette fusion qui est plutôt une absorption de la startup, la réalité est tout autre pour ces livreurs. Déjà trop nombreux pendant six ans, ils devront entrer en concurrence avec ceux qui travaillent actuellement pour Gorillas qui s’est doté de sa propre flotte depuis qu’il est en France.
Aujourd’hui, Julia Bijaoui et Quentin Vacher évoquent les pistes de développement de Frichti grâce à ce rachat. À Challenges, ils se confient, arguant que la marque va pouvoir s’internationaliser grâce à Gorillas et se développer encore plus vite. Dans un communiqué, les deux entreprises expliquent : « Nous partagions cette vision de créer le supermarché nouvelle génération avec des produits plus frais, locaux, transparents. Et nous apportions des choses complémentaires : Gorillas, sa présence dans 9 pays, les moyens colossaux rassemblés, l’extraordinaire croissance, la capacité à croître très vite, et nous, nos six ans d’expérience, la capacité à opérer ce modèle de manière profitable, et avec plusieurs catégories de produits, les repas, les courses, les recettes. »
En réalité, ce rachat est plus profitable à Frichti qu’à Gorillas qui ne fait qu’acquérir un concurrent pour l’ôter de sa route. Avant cette acquisition, la startup française avait atteint une sorte de point de non-retour. Entre les difficultés à se trouver, les problèmes d’image rencontrés au fil des années et surtout la concurrence avec laquelle elle ne pouvait plus rivaliser, la survie de Frichti était clairement en question.
Dès 2016, Frichti, c’était un résultat net de – 6 millions d’euros. Aujourd’hui, plus d’acteurs se partagent la part du gâteau et ont créé des associations intelligentes, alors que Frichti a préféré rester solo : Cajoo avec Carrefour, Gorillas avec Casino, Amazon avec Monoprix… La seule question qui demeure est la suivante : l’allemand Gorillas doit-il faire perdurer cette marque à tout prix ?