Deux expertes de la Banque de France viennent de publier un billet qui revient sur une idée reçue : changer d’entreprise permettrait effectivement aux collaborateurs de voir leur salaire augmenter.
Clémence Berson et Élisa Busson sont toutes les deux des économistes et expertes reconnues de la Banque de France. Ces dernières ont mené une enquête sur un discours qu’on entend beaucoup dans les entreprises : il faut changer d’organisation, démissionner, afin de voir son salaire augmenter. Leurs résultats confirment en effet ce qui était longtemps perçu comme une idée reçue.
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Crise, emploi et démissions : des liens évidents
Le premier constat établi à partir des données de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du Travail) est que l’on constate un lien inverse entre les démissions et les crises. En règle générale, quand une crise survient (subprimes en 2008, pandémie en 2020), les départs volontaires sont grandement diminués. Les gens préfèrent en effet la sécurité de l’emploi. En revanche, dans les années qui suivent, le taux de démissions repart à la hausse.
Depuis la crise sanitaire, les démissions n’ont jamais été aussi importantes en France. Cela s’explique par plusieurs facteurs : marché favorable aux candidats qui se retrouvent face à des entreprises qui ont du mal à trouver la perle rare, besoin et demande de flexibilité ou encore la recherche de valeurs dans une organisation (développement durable, engagement humain, etc.).
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Démissionner pour être augmenté : que disent les expertes de la Banque de France ?
Ce qu’observent Clémence Berson et Élisa Busson de la Banque de France, c’est qu’un lien fort existe entre les démissions et les salaires en France. Dans leur billet, elles expliquent, en se basant sur une étude américaine de 2016, que la courbe de Phillips, qui établit un lien entre le niveau des salaires et le taux de chômage, n’existerait plus aujourd’hui, aux Etats-Unis mais avec un phénomène similaire en France. En revanche, il y aurait une forte corrélation entre l’évolution des salaires et le taux des démissions et des changements d’emplois. L’explication serait que « les individus quittent généralement leur précédent emploi s’ils reçoivent une meilleure offre en termes de revenus ou de meilleures conditions de travail ».
En outre, les expertes démontrent que pour « les personnes ayant un emploi de plus d’un an, le salaire des personnes changeant d’emploi est généralement supérieur à celui des personnes restant dans le même emploi ». Changer d’emploi est donc le bon moyen d’être augmenté ! Elles estiment que, sur la période 1995-2015, le salarié français ayant changé d’emploi a gagné en moyenne 1,8 point de pourcentage de salaire en plus que s’il n’avait pas changé d’emploi.
Les deux expertes en économie notent, sur les graphiques de la Dares, des corrélations évidentes entre le nombre de démissions et l’augmentation du salaire moyen par tête d’une année sur l’autre. Toutefois, ceci est nuancé par le fait queque ces chiffres restent liés au taux de chômage : « une augmentation d’un point de pourcentage du taux de chômage réduit le gain salarial d’un changement d’emploi de 0,23 point de pourcentage ».
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L’inflation au cœur des démissions
Enfin, Clémence Berson et Élisa Busson étudié un éventuel lien entre inflation et démissions des collaborateurs, dans le contexte de reprise de l’inflation depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022. Selon les expertes de la Banque de France, « la part des démissions des trimestres passés peut aider à prévoir l’évolution de l’inflation » avec une corrélation des données la plus forte après un délai de quatre trimestres. Aussi, une augmentation des démissions permettrait d’anticiper une hausse de l’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie et de l’alimentation) un an plus tard.
Aux États-Unis, Faberman et Justiniano (2015) prouvent qu’il y a une « corrélation de 94 % entre le taux de démission et l’évolution des salaires (indice du coût du travail) deux trimestres plus tard et 53 % avec l’écart entre l’inflation actuelle et l’inflation de long terme ». Les deux économistes de la Banque de France admettent toutefois que les résultats sont moins tranchés dans l’hexagone. Elles concluent néanmoins en expliquant que, si on peut observer une causalité statistique « indiquant que le taux de démission peut aider à prévoir l’évolution des salaires, et, donc, l’inflation […]l’inverse ne s’observe pas : l’évolution des salaires ne prédit pas le taux de démission. »