Pendant la Seconde Guerre mondiale et durant l’occupation allemande, l’Université de Strasbourg aurait servi de terrain d’expérimentation à un professeur d’anatomie dont les activités ont concerné des juifs déportés au camp de Struthof. Une commission historique mise en place par l’institution vient de lever le voile sur la collaboration entre l’Université du Reich de Strasbourg et les atrocités commises par l’Allemagne nazie.
Cette actualité trouve ses origines en 2015, lorsque le médecin et chroniqueur Michel Cymes publie un ouvrage : Hippocrate aux enfers. Dans ce livre, il indique que la faculté de médecine de l’institution alsacienne possèderait toujours les restes de personnes déportées sur lesquelles des expérimentations ont été effectuées par des médecins de l’Allemagne nazie.
La sortie de cet ouvrage, qui traite des professionnels de l’univers médical dans les camps de concentration, fait grand bruit. À l’époque, l’Université de Strasbourg réfute cette hypothèse en arguant que les propos de Michel Cymes ne sont que des rumeurs.
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Les liens entre l’Université de Strasbourg et l’Allemagne nazie
Pour bien comprendre les origines de la découverte de Michel Cymes, il convient de revenir plusieurs décennies en arrière, en 1941, plus précisément. Cette année-là, l’Allemagne nazie crée la Reichsuniversität Strassburg (RUS) ou Université du Reich de Strasbourg.
Cette institution prend ses racines dans le bassin de l’enseignement supérieur alsacien qui avait été abandonné durant les premiers jours de la Seconde Guerre mondiale. Elle se veut être la digne héritière de la Kaiser-Wilhelm-Universität, l’Université impériale allemande de Strasbourg créée en 1872 et fermée en 1918.
Durant cette période d’occupation, l’Université du Reich de Strasbourg accueille un professeur d’anatomie allemand : August Hirt. Sa mission pour l’Allemagne nazie ? Créer une collection anthropométrique de squelettes juifs. Pour poursuivre son objectif, il assassine plus de 80 personnes dans le camp de concentration de Struthof, en août 1943, le seul qui était basé sur le territoire français.
En 1944, les forces de la libération arrivent à Strasbourg et découvrent, au sein de l’Institut d’anatomie de la faculté de médecine, plusieurs corps plongés dans du formol. Avant leur départ, les médecins de l’Allemagne nazie qui menaient ces expérimentations ont tenté de masquer les traces de leurs expérimentations. Cependant, il est devenu assez clair que ces personnes étaient les 86 juifs tués dans les chambres à gaz du camp de concentration Struthof à la demande d’August Hirt.
Y a-t-il des restes de personnes déportées à l’Université de Strasbourg ?
La réponse est plus compliquée que cela. Après la découverte des corps des 86 juifs au sein de l’Université du Reich de Strasbourg, ces derniers ont été enterrés dans une fosse commune en 1945, avant d’être exhumés, puis inhumés cimetière israélite de Strasbourg-Cronenbourg en 1951.
En 2015, après le livre de Michel Cymes, un chercheur du nom de Raphaël Toldeno prouve qu’il y aurait plusieurs lames réalisées sur une des victimes d’August Hirt au sein de l’Institut de médecine légale de l’Université de Strasbourg. Ces dernières seraient des reliquats de preuves récoltées en vue des différents procès qui ont suivi la fin de la guerre.
Ces deux témoignages qui interviennent à six mois d’intervalle ont poussé à créer une Commission historique indépendante chargée d’en savoir plus sur la présence ou non de restes de personnes déportées au sein de la faculté de médecine de l’Université de Strasbourg à l’époque de la Reichsuniversität Strassburg.
Comment garantir l’indépendance de cette commission ? Christian Bonah répond à cette question posée par le journal Le Monde : « Sur ses treize membres, neuf étaient extérieurs à l’université de Strasbourg : une Américaine, un Anglais, trois Allemands, une Autrichienne, trois Français. Et quatre, dont moi-même, appartenaient à cette institution, ce qui permettait une vision de l’intérieur. La commission était coprésidée par deux historiens, Florian Schmaltz, docteur en histoire contemporaine à l’institut de Berlin de la Société Max-Planck, et Paul Weindling, professeur d’histoire de la médecine à l’université d’Oxford. »
Les résultats de la Commission historique de l’Université de Strasbourg
Dans son rapport de plus de 500 pages publié ce mardi 3 mai, la Commission historique de l’Université de Strasbourg met en lumière plusieurs découvertes. La première est l’identification de plus de 1 000 lames appartenant à la collection personnelle d’August Hirt, mais n’étant pas liées à l’assassinat des 86 juifs déportés au camp de Struthof. La commission a également découvert une collection de restes macroscopiques et microscopiques de la période située entre 1941 et 1944. Cependant, elle n’a pas pu établir de lien clair entre les expérimentations de l’Allemagne nazie au sein de la faculté de médecine de l’Université du Reich de Strasbourg et cette découverte.
Néanmoins, la Commission historique de l’établissement confirme que plusieurs camps de concentration ont envoyé des juifs, vivants ou morts, à au moins trois chercheurs de ce qui était la Reichsuniversität Strassburg. Des victimes au sein de la clinique psychiatrique ont également été identifiées. L’implication de l’Université du Reich à Strasbourg a été prouvée dans cette opération. Enfin, des relations étroites entre l’établissement et les camps de concentration ont pu être établies durant l’intégralité de l’occupation.
La Commission a su mettre en lumière les recherches menées sur les animaux et les humains déportés, mais aussi sur les rumeurs de stérilisation forcée. Sur ce point, elle indique qu’aucune preuve de telles pratiques n’a pu être découverte, même si elles sont évoquées dans plusieurs thèses de recherche.
Quelles conséquences pour l’Université de Strasbourg ?
Aujourd’hui, la grande difficulté de l’Université de Strasbourg est de vivre avec cet héritage et ce devoir de mémoire. Elle a cependant réussi à faire la lumière sur ses relations avec l’Allemagne nazie et les camps de concentration. La Commission historique a identifié un grand nombre de mesures à prendre en compte. Son travail a d’ailleurs permis d’établir une biographie plus précise de nombreuses victimes autour de l’Université du Reich de Strasbourg.
Dans un souci d’honorer le devoir de mémoire, la Commission indique que les victimes doivent être nommées avec « leur nom, prénom, date de naissance et de décès et la cause de leur décès ». Elle incite à localiser les lieux où se sont déroulés des actes criminels, à signaler un certain nombre d’entre eux avec des panneaux explicatifs et à réaliser un « chemin du souvenir » qui relierait ces points d’intérêt. Ce n’est là qu’une infime partie des mesures à mettre en place, d’après la Commission.
En outre, elle souhaite la « création et pérennisation d’un site internet sur la médecine nationale-socialiste à la RUS. » La Commission veut pousser à la création de bourses dédiées aux chercheurs qui travaillent d’une part sur l’étude d’archives, d’autre part sur les mémoires, thèses et autres travaux traitants de la médecine au sein de la RUS.
De son côté, l’Université de Strasbourg a annoncé déjà mettre en place un certain nombre de mesures. On y retrouve la création d’un centre de recherche et d’information sur le campus de médecine qui aura pour vocation de conserver les collections de la faculté de médecine citées dans le rapport, de mettre à disposition des chercheurs un ensemble de documentations liées à ces événements, mais aussi d’intégrer, au sein du cursus de médecine, des cours sur l’histoire de la médecine nazie et les problèmes éthiques qu’elle pose.