Le basculement de l’enseignement supérieur vers le numérique, fortement accéléré par la pandémie et ses contraintes sanitaires, soulève des enjeux éthiques majeurs en matière de triche et de plagiat. Or « on ne peut pas résoudre les problèmes actuels d’intégrité avec les outils du passé. Le droit et les règlements universitaires ne sont pas adaptés », comme l’affirmait Michelle Bergadaà à l’occasion de la labellisation par la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (FNEGE) de son ouvrage L’urgence de l’intégrité académique, coordonné avec Paulo Peixoto. Cet article a été rédigé par Yoann Bazin, professeur en Ethique des affaires de l’EM Normandie.
Mais comment créer et renforcer une culture d’intégrité académique dans l’enseignement supérieur ? Que nous dit la recherche à ce sujet ? Donald McCabe et ses collègues y consacrent un chapitre entier dans leur excellent Cheating in college, où ils insistent sur le besoin d’aligner les différents systèmes en place. En cela, ils font écho au livre de Michelle Bergadaà et Paulo Peixoto, ou encore à Craig Scanlan pour qui cet alignement requiert « une stratégie globale faisant la promotion d’une culture de l’intégrité académique ».
Les systèmes formels
Les politiques contre la triche et le plagiat se concentrent en général sur les aspects formels de procédures et sanctions, menant (trop) souvent à ce que nous avons appelé ailleurs un « angle policier ». Or les études montrent que les conseils de discipline, codes d’honneur et autres règlements intérieurs n’ont qu’une efficacité limitée s’ils ne sont pas articulés à d’autres dispositifs.
Dans les aspects formels, on trouve également le rôle central des personnes en charge dans l’administration, qui doivent incarner et mettre en pratique les politiques et codes qui sont adoptés. Et l’ensemble doit être structuré de manière logique autour de valeurs claires et explicites. Ces dernières doivent ensuite alimenter les processus de recrutement et de formation des étudiants, mais aussi des enseignants et du personnel administratif. Bref, une attention particulière doit être prêtée à l’intégrité des acteurs autant qu’à celle des procédures.
Enfin, le processus de décision, les responsabilités et les sanctions éventuelles doivent être explicités pour en montrer la logique et la transparence. Les conséquences des comportements problématiques doivent être formalisées à l’avance, proportionnées et dites « réparatrices ».
L’importance de la cohérence d’ensemble de ces systèmes formels peut sembler évidente, mais les études montrent qu’en pratique ces dispositifs sont souvent peu couplés, et parfois même contradictoires. Or, chaque incohérence affaiblit les autres processus. De plus, une cohérence d’ensemble permet de renforcer un « curriculum invisible » qui transmet aux étudiants des principes et valeurs dans les amphithéâtres autant qu’entre les cours.
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Les systèmes informels
Ceci étant dit, « l’éthique formelle et les programmes de conformité ne représentent que la partie émergée de “l’infrastructure éthique” d’une organisation », notent Max H. Bazerman et Ann E. Tenbrunsel. D’où l’insistance de Donald McCabe et de ses collègues à articuler les systèmes formels aux normes informelles et autres rituels et mythes qui circulent au sein de chaque institution d’enseignement supérieur.
Ils soulignent en particulier l’importance des idoles, héros et autres modèles qui sont partagés par les étudiants, mais également par leurs professeurs et par le personnel administratif. Lorsque des présentations et exposés font l’apologie d’entrepreneurs et hommes d’affaires sans souligner certains aspects éthiques problématiques de leurs parcours, les professeurs doivent compléter les portraits. De même, lorsque certaines personnalités sont invitées pour des conférences, une attention particulière doit être prêtée aux valeurs qu’elles véhiculent.
Sans noircir systématiquement le tableau, il est essentiel de comprendre que tous les cours d’éthique des affaires et de responsabilité sociale des entreprises ne pourront jamais complètement contrebalancer l’influence d’une société et de médias qui encensent certaines figures et certains mythes malgré leur caractère parfois problématique. C’est le rôle de l’enseignement supérieur que d’apporter aux étudiants les clés de lecture éthiques et critiques pour prendre du recul face à ces tendances.
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Par où commencer ?
Tous les acteurs de l’enseignement supérieur tendent à partager le constat que l’intégrité académique n’est que rarement la préoccupation centrale de leurs institutions. Certes, toutes ont des règles et règlements relatifs à la fraude ou à la triche, et beaucoup d’entre nous siègent régulièrement dans des jurys, comités et autres conseils de disciplines.
Pour autant, un état des lieux rigoureux impliquant l’ensemble des parties prenantes montrerait probablement plutôt une architecture globale où les couplages sont en général lâches – au mieux. Ces découplages pourraient expliquer « l’inaptitude des hommes et des systèmes à surmonter les défis de l’intégrité. Car ces deux ordres ne cessent de se renvoyer la responsabilité de la prise en charge réelle des manquements à l’intégrité ».
Cependant, en s’armant « de détermination, de patience et de persévérance », nous pouvons collectivement et progressivement développer et maintenir une culture d’intégrité académique grâce à une stratégie globale et cohérente.
Cessons une bonne fois pour toutes de segmenter la population académique entre étudiants d’un côté et chercheurs de l’autre ! La formation, en cette époque de changement profond, concerne aussi bien les professeurs, les bibliothécaires, les responsables des commissions d’éthique, les services juridiques que les étudiants. »
La formation, mais aussi l’implication et la collaboration de tous les acteurs de l’enseignement supérieur, en amont comme en aval de la construction d’une stratégie globale, est nécessaire à renforcer une culture d’intégrité académique dans nos institutions.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.