Peu plébiscitées, les études littéraires sont souvent critiquées : pas assez professionnalisantes, pas assez de débouchés, trop peu de hard skills, etc. Mais qu’en est-il réellement ? Guillaume Frecaut, auteur du livre Je réussis ma khâgne et à la tête d’une startup ayant levé près d’un million d’euros il y a peu, nous livre son expérience de CEO et casse pour nous tous ces préjugés !
Le parcours de Guillaume Frecaut
L’arrivée de Guillaume Frecaut dans les études littéraires
Peux-tu te présenter rapidement et nous exposer ton parcours ?
Je m’appelle Guillaume Frecaut, j’ai 29 ans et je suis président de Kaptcher, une startup de la proptech. Je suis un Provincial : je suis né à Nancy, puis j’ai suivi tout le reste de ma scolarité en Province, notamment au Lycée Montesquieu, au Mans.
En terminale, j’ai eu la chance d’avoir été poussé à intégrer une prépa parisienne, notamment par mes professeurs et ma famille, parce que c’est souvent ce qui se passe, on ne va pas se mentir ! Mais en regardant dans le détail, c’est la prépa littéraire qui me correspondait le mieux et c’est donc une prépa littéraire que j’ai intégrée une fois mon bac en poche, à Louis Le Grand. Avec le recul, j’ai adoré ces années, qui ont été tout particulièrement formatrices pour moi.
La voie normale aurait dû m’amener à l’ENS, mais je n’ai pas réussi le concours la première fois (ce qui n’est pas anormal, vu qu’il y a environ 70 places pour des milliers de candidats), donc j’ai redoublé. L’expérience de l’échec a été très formatrice, déjà pour réaliser qu’on n’en meurt pas (ce qui n’est pas inutile en tant qu’entrepreneur), mais aussi pour me rendre compte que si je n’ai pas réussi du premier coup, c’est parce que je n’étais pas mûr.
L’impact des études littéraires sur le parcours de Guillaume Frecaut
Est-ce que cette réflexion t’a poussé à changer tes plans, pour ton futur ?
Complètement, cette introspection m’a permis de voir que je ne m’imaginais pas faire toute ma vie en tant que prof, malgré une passion pour l’enseignement : j’avais besoin de plus d’action. Donc, quand j’ai passé, en parallèle du concours de l’ENS, les concours des écoles de commerce et de Sciences-Po, le deuxième essai a été le bon, puisque j’ai été admis partout. J’ai alors choisi HEC Paris, pour avoir à la fois une formation intellectuelle à l’ENS et une formation business ultra enrichissante à HEC Paris. Je ressentais le besoin de régler des problèmes concrets et d’être capable d’agir plus que dans une dissertation, parce que tant que ça reste sur le papier, tout est toujours très simple à régler.
Comment as-tu concrétisé tes plans sur le long-terme ?
Ce besoin d’agir, c’est la raison pour laquelle j’ai enchaîné avec un bouquin sur la prépa littéraire, j’ai intégré une association à Normale Sup, puis je me suis spécialisé en urbanisme, parce que c’est là que se sont rencontrés la théorie et la pratique. Bien que très formateur, j’ai trouvé l’urbanisme encore un peu trop général pour moi, donc j’ai fini par faire de la promotion immobilière, à la Compagnie de Phalsbourg. Ensuite j’ai travaillé dans une startup de la PropTech en France et outre-Atlantique. Ça a été une super expérience de business qui m’a fait me rendre compte que la vision du business à la française reste souvent très théorique. Et c’est en revenant des USA que j’ai fondé Kaptcher, il y a 3 ans.
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Se battre pour les littéraires, l’ambition de Guillaume Frecaut
Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ton livre ? Tu m’as confié « militer » pour l’information autour des études littéraires avant notre entretien, considères-tu qu’il y ait un manque d’informations sur le sujet ?
Pour moi, plus on parlera des études littéraires et mieux ce sera : personnellement, je suis allé en prépa littéraire parce que mes profs et mes parents me l’ont conseillé, mais je ne savais pas ce qu’on y faisait, donc c’était difficile de s’y préparer ! Par exemple, je pense que je ne comprenais pas tout ce qu’on nous demandait en arrivant, parce que je n’avais pas la méthode pour réussir les exercices demandés. Pour moi, donner la méthode aux étudiants qui ne l’ont pas eue par ailleurs, c’est essentiel : c’est pour ça que je continue de coller en prépa, ça me semble central de communiquer des informations aux étudiants.
Quand j’ai écrit mon livre, je l’ai fait aussi pour montrer que l’intégration d’une ENS n’est pas la seule manière de réussir sa prépa littéraire. La capacité de travail et de réflexion qu’on y acquiert sont très utiles et très valorisées dans les entreprises : elles permettent de résoudre des problèmes d’ordre pratique, avec des raisonnements non-mathématiques.
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Généraliser les études littéraires, un processus en marche
Penses-tu qu’on doive justement accorder plus d’importance aux raisonnements non-mathématiques ?
Bien sûr, parce que c’est ça gérer une boîte : gérer les gens, outre la trésorerie et la finance. Et apprendre à réfléchir par d’autres moyens que les maths, ça peut être très enrichissant en entreprise. À cet égard, les études littéraires permettent évidemment d’évoluer dans un environnement plus humain et font penser différemment la manière dont on solutionne un problème précis. Surtout que les maths en finance d’entreprise, c’est certes important, mais c’est globalement assez simple.
Est-ce que, pour toi, les formations littéraires sont boudées ?
De moins en moins : alors que les inscriptions ont tendance à diminuer en prépa commerciale, celles en prépa littéraire augmentent très largement. Ça n’est pas massif, loin de là, mais avec la réorganisation des terminales et de Parcoursup, les choix d’orientation peuvent continuer à évoluer.
Mais, dans tous les cas, c’est important d’informer à leur sujet. Par exemple, les débouchés existent et sont multiples : il y a des concours orientés pour les littéraires afin d’aller en école de commerce, on peut passer par une AST (admission sur titre) également, aller à Sciences Po, dans des écoles de traduction, etc. De la même manière, les métiers de rédacteur web et de copywriter sont en plein essor !
À l’international, une formation littéraire poussée peut être très utile : en Angleterre ou en Allemagne, un doctorat peut être extrêmement utile pour accéder à des postes à responsabilité et pas forcément un doctorat en sciences dures !
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Le rôle des études littéraires dans les parcours
Pourquoi est-ce un enjeu si important pour toi ?
C’est parce que c’est important, pour moi, que les gens fassent ce qu’ils veulent : si on a un goût pour la littérature, on peut totalement en faire pendant 2 à 3 ans, pour se cultiver, et ensuite se réorienter pour aller faire autre chose de sa vie ! C’est très important que l’information circule sur ces questions, pour que les études littéraires ne soient pas réservées à une sorte de caste qui se reproduit.
Etudes littéraires et écoles de commerce : un mélange loin d’être atypique
Étant passé par HEC Paris, considères-tu qu’il puisse y avoir des angles morts dans les enseignements portés par les écoles de commerce ?
C’est une question intéressante. Je pense que c’est important de rappeler que si ma boîte est dans une bonne dynamique, c’est en grande partie grâce à ce que j’ai appris à HEC Paris : la diversité des cours permet de parler à la fois aux comptables, aux financiers, aux avocats, etc. L’école forme à la capacité de parler à un financier autant qu’à une équipe projet.
Si je devais repérer des angles morts, je les trouverais probablement dans la profondeur historique. Cela étant, ce n’est évidemment pas l’objet d’une école de commerce, mais c’est intéressant dans le monde de l’entreprise de se rendre compte qu’on n’est pas grand-chose. Ça fait utiliser avec parcimonie le mot « nouveau » : on peut partir du principe que toute idée, quelqu’un l’a déjà eue, et que la seule question à se poser est de voir comment on peut la réaliser.
Sinon, malheureusement, apprendre à poser un problème et à le régler n’est peut-être pas autant au cœur de la formation en école de commerce que ça le pourrait : elles se concentrent, et c’est normal, plus sur le fait de donner des hard skills, parce que ça confère plus de légitimité au diplôme. Alors qu’apprendre à régler un problème concret, c’est pourtant une compétence essentielle.
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L’importance de l’avant-école de commerce pour Guillaume Frecaut
Quand on recrute un étudiant, penses-tu qu’on devrait accorder plus d’importance à son parcours avant qu’il n’arrive en école de commerce ?
Avant, je ne sais pas, parce qu’on est quand même assez jeune et qu’on ne sait pas forcément là où on va. En revanche, c’est très important de regarder ce qui est fait pendant et à côté : pour voir passer beaucoup de CV, l’important pour moi n’est pas le niveau de l’école (et, ce, malgré la religion du classement qu’on a en France), mais dans quels projets le candidat s’est investi, dans quelles associations il travaille, etc. Je connais même un entrepreneur qui dit « un étudiant qui n’a pas été scout, qui ne s’est pas investi dans des assos sportives, je ne le prends pas ». Dans notre domaine, avoir des parcours trop linéaires, c’est rarement un aspect positif.
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La réorientation, une bonne idée ?
De manière plus large, dans quelle mesure se réorienter est une option qui te semble bénéfique ?
La réorientation est très bonne parce qu’elle ouvre un étudiant à d’autres manières de penser. Concrètement, ce n’est pas parce que tu as eu un cours à HEC Paris que tu sais tout mieux que tout le monde. Par exemple, les ingénieurs auront toujours une manière de penser très différente de la tienne, mais ils sont néanmoins très bons dans ce qu’ils font : pour moi, valoriser la réorientation permet d’écouter et de prêter attention aux parcours de tout le monde. Et c’est d’autant plus positif que ça force à sortir de sa zone de confort. évidemment, si on voit sur ton CV que tu changes de direction tous les 6 mois, ce n’est pas très rassurant, mais quand on va au bout de ce qu’on commence, se réorienter, c’est une preuve que l’on sort de sa zone de confort.
Il n’est pas nécessaire que tout le monde fasse l’expérience de plusieurs écoles ou de plusieurs secteurs, ça dépend des aspirations de chacun, ce n’est pas nécessaire d’avoir des chiens fous tout le temps, mais se réorienter démontre quand même une certaine fluidité de l’esprit, parce que, quand on a dû passer de la version aux cours de comptabilité, on a une ouverture d’esprit qui est quand même assez intéressante.
Si son portrait t’a intéressé, tu peux te procurer le livre de Guillaume Frecaut Je réussis ma khâgne juste ici !