Les cabinets de conseil sont omniprésents : ils interviennent auprès des entreprises privées et publiques sur des questions non seulement stratégiques, mais également organisationnelles. Désormais, les États font également appel à leur aide pour s’en sortir en période de crise. Cette ingérence dans des choix de politique publique représente-t-elle une menace ?
Quand les gouvernements font appel aux cabinets de conseil
Certains choix de politiques publiques contemporaines sont fortement dictés par les cabinets de conseil, dont l’activité s’est étendue à tous les domaines. Leur influence devient très forte. À titre d’exemple, le ministère de la Santé a consulté sept cabinets de conseil pour l’aider à gérer la crise sanitaire, pour un total de 11,3 millions d’euros de contrats.
Certains hauts fonctionnaires ont même exprimé leur agacement par rapport à cette pratique, en raison de sa fréquence, des montants engagés et de l’attribution de certains marchés sans appel d’offres. « Il y a effectivement beaucoup de matière grise dans l’État. Oui, ce n’est pas une bonne chose de se couper d’une réflexion extérieure, mais le recours systématique [à des cabinets de conseil] est un peu surprenant », a réagi un magistrat de la Cour des comptes.
Cette démarche n’est absolument pas inédite et de nombreux gouvernements et ministères font appel aux cabinets de conseil pour les accompagner dans leur démarche de transformation. La direction de l’État chargée de conduire la réforme de l’action publique prévoit une enveloppe de 100 millions d’euros pour ce genre d’actions et pioche dans une liste de vingt cabinets de conseil et d’une soixantaine de sous-traitants techniques sélectionnés à l’issue d’un appel d’offres géant. De la même manière, le ministère des Armées a prévu une enveloppe de 87 millions d’euros pour des services de conseil.
Olivier Véran, ministre de la Santé, avait répondu devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le 12 janvier, aux députés qui l’interrogeaient : « Il est tout à fait classique et cohérent de s’appuyer sur l’expertise du secteur privé. »
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Le déploiement des cabinets de conseil lors de grandes crises
La crise sanitaire a contribué largement au déploiement des cabinets de conseil. À titre d’exemple, le plan de relance européen, qui s’élevait à 750 milliards d’euros, a permis à des entreprises de consulting d’être embauchées par les institutions bruxelloises et par les États membres de l’Union européenne.
Ces groupes ont eu pour mission principale de définir comment les immenses mannes monétaires dédiées aux plans seraient utilisées. En Espagne, par exemple, quatre grands cabinets de conseil ont accompagné plusieurs ministères dirigés par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) dans le cadre de ce plan de relance européen. En Italie, la situation est similaire. Le cabinet McKinsey a conseillé le gouvernement de Mario Draghi, décision qui a créé une large polémique.
La France ne fait pas exception à cette règle. En effet, McKinsey a été missionnée pour mettre en place la logistique de la distribution du vaccin, pour une somme de 3,4 millions d’euros.
Depuis mars 2020, le cabinet Citwell a lui aussi été contacté par le gouvernement français pour la mise en place d’un schéma de distribution vaccinal pour un contrat s’élevant à 3,9 millions d’euros. La pandémie a poussé le ministère de la Santé à signer vingt-huit contrats en lien avec la crise sanitaire, pour un montant supérieur à onze millions d’euros.
« Le dispositif logistique de vaccination contre le Covid-19 est sans précédent en termes d’ampleur et nécessite une expertise de haut niveau, a fortiori dans la phase d’accélération que nous entamons », précise la DGS (Direction générale de la Sant) au Monde. L’institution poursuit : « Ces cabinets n’interviennent à aucun titre sur les choix de nature politique et sanitaire » qui relèvent « de la seule responsabilité du gouvernement. Sont ainsi exclus de leur champ d’intervention : le choix des laboratoires et les commandes des vaccins, la priorisation des segments de population recevant le vaccin, le calendrier de mise en œuvre, les modalités de vaccination au plan national (établissements hospitaliers, médecine de ville…). »
Des conflits d’intérêt fortement critiqués
Le recours systématique aux sociétés de conseil dans la gestion des affaires publiques pose un gros problème, celui des conflits d’intérêts. À ce titre, le New York Times a souligné que la filiale d’investissement de McKinsey & Company, MIO Partners, a été suspectée de pratiques trompeuses. Officiellement, le cabinet de conseil et sa filiale d’investissement sont censés être deux structures indépendantes qui ne communiquent pas. Toutefois, de nombreux faits laissent penser le contraire. McKinsey & Company utilise sa position de conseiller pour prendre des décisions allant dans l’intérêt de sa filiale.
Une stratégie de vaccination réussie grâce au cabinet de conseil McKinsey ?
Le gouvernement a fait appel au cabinet américain, McKinsey, pour l’aider à établir sa stratégie de vaccination. Huit mois plus tard, la France fait partie des pays ayant le mieux gérer la crise sanitaire : cinquante millions de personnes ont reçu au moins une dose au début de septembre, soit 75 % de la population.
La France enregistre de meilleurs résultats que le Royaume-Uni, pionnier et longtemps champion d’Europe, mieux que l’Allemagne, les Etats-Unis et même Israël. Ce taux de couverture vaccinale avait annoncé une rentrée moins menacée par l’avancée du variant Delta. Le Covid-19 n’a donc pas briser la reprise économique. Grâce à McKinsey, la France a réussi à devenir un pays modèle dans le monde. Ces résultats satisfaisants démontrent une chose : les cabinets de conseil sont agiles et ont la particularité d’être moins processés que l’administration française.