Harvard a récemment publié un rapport de plus de 130 pages qui fait la lumière sur son passé, notamment au moment où l’Amérique faisait appel à des esclaves venus d’Afrique. Cette enquête fait ressortir un fait surprenant : le personnel de la prestigieuse université américaine a fait appel à plus d’une soixantaine d’esclaves au XVIIe et au XVIIIe siècle.
Le staff de Harvard, dont son président, aurait fait appel à 70 esclaves entre 1683 et la décision de justice, 150 ans plus tard, de la Massachusetts Supreme Judicial Court qui a rendu cette pratique illégale. Certains d’entre eux ont même travaillé sur le campus de l’université.
L’esclavage en Nouvelle-Angleterre
L’histoire de Harvard est intrinsèquement liée à celle de la Nouvelle-Angleterre et du Massachusetts, État dans lequel on retrouve la célèbre institution. Dans les années 1600, cette région américaine a fait venir de nombreux habitants de pays d’Afrique afin de les réduire en esclavage. Au début des années 1700, presque une vingtaine de voyages avaient été effectués.
En 1638, soit deux ans après la création de Harvard, un navire, le Desire, revient de son voyage en Afrique et amarre dans le port de Boston. Certains pensent que le premier esclave à avoir appartenu à l’un des membres de la prestigieuse université, le doyen de l’époque en l’occurrence, serait venu dans ce bateau.
Au Massachusetts, on dénombrait une communauté de 33 000 habitants à la fin des années 1600. Les différents rapports indiquent que le nombre d’esclaves était « relativement faible ». On comptait environ 200 personnes provenant majoritairement de Madagascar et de Guinée. Il faut cependant noter que si les habitants de cet État faisaient assez peu appel à des esclaves, ce n’est pas par conviction personnelle, mais par peur de voir la population étrangère augmenter.
Malgré tout, dans les années 1700, le nombre d’esclaves au Massachusetts a explosé. Il est passé de 200 en 1675 à 550 en 1708, puis environ 2 000 en 1720. Il faut dire que la population de colons avait également augmenté, atteignant les 94 000 habitants au total dans cet État. Ainsi, c’est tout naturellement que les membres éminents de Harvard les plus aisés se mettent à acheter des esclaves.
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La présence d’esclaves sur le campus de Harvard vérifiée
Harvard a entretenu un lien étroit avec l’esclavage dès ses débuts. En effet, l’université américaine accueillait, dès 1640, les enfants des riches propriétaires de cannes à sucre qui exploitaient eux-mêmes des esclaves originaires de pays d’Afrique ou d’Inde. Le rapport publié par Harvard indique qu’au total, près de 70 esclaves avaient été achetés par des professeurs ou doyens de l’établissement. Certains d’entre eux ont même travaillé sur le campus, sans salaire évidemment.
Celui qui possédait le plus d’esclaves est sans doute l’un des Harvard stewards [ceux qui s’occupaient des achats de matériel et de nourriture de l’université, NDLR], Andrew Bordman. Il en avait acheté huit. Celui qui deviendra le futur président de Harvard, Benjamin Wadsworth, avait même assisté à l’achat de l’un d’entre eux pour 40$, soit environ 2 800$ aujourd’hui. L’une de ses esclaves, Jane, morte à l’âge de 22 ans, possède encore sa tombe dans le cimetière de Harvard. Son épitaphe est le suivant : « Jane a Negro Servant of Andrew Bordman ». Certains professeurs de Harvard avaient même acquis des esclaves mineurs.
Harvard étant un lieu d’éducation et d’ouverture sur le monde, l’esclavage a rapidement soulevé de nombreuses questions. Un débat a même été organisé à la fin des années 1670, peu de temps avant que la Massachusetts Supreme Judicial Court ne rende sa décision de justice sur l’illégalité de l’esclavage. Deux étudiants qui souhaitaient intégrer une formation de niveau bachelor à Harvard se sont exprimés sur le sujet. Eliphalet Pearson, qui défendait une position pro-esclavage, indiquait que cette pratique était une « faveur » que les Américains faisaient aux Africains, expliquant que les colons avaient retirés d’un pays où ils ne connaissaient que « tyrannie » et « misère ».
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Les bénéfices financiers qu’Harvard a tiré de l’esclavage
Comme le précise le rapport publié en avril, Harvard a tiré longtemps profit, d’un point de vue financier, de l’esclavage et du marché qui s’était créé autour de ce sujet. L’université a déjà touché un nombre important de dons pécuniaires provenant de riches propriétaires d’exploitations de sucre et de cotons. Le rapport publié par l’établissement n’arrive pas cependant à identifier le montant des sommes. Cependant, il met en avant quelques bienfaiteurs dont la fortune s’est majoritairement faite grâce à l’esclavage, dont Samuel Winthrop et Isaac Royall Jr.
Au XIXe siècle, malgré l’interdiction d’avoir des esclaves, Harvard profite toujours du business de l’esclavage. Le rapport publié le mois dernier précise que durant la première moitié de ce siècle, un tiers des dons ou promesses de dons proviennent de cinq personnes qui ont fait fortune avec la traite d’esclaves ou leur vente. James Perkins a fait don 20 000$ (soit environ 450 000$). Son argent provient majoritairement de la revente d’esclaves des Caraïbes.
Au cœur des conflits qui ont entourés l’abolition de l’esclavage, Harvard était le reflet de la société américaine. Les Sudistes défendaient leur position pro-esclavage. Néanmoins, de nombreux groupes se sont formés, à l’image de Cambridge Anti-Slavery Society, créée par des élèves et professeur de Cambridge et de Harvard.
Après la publication du rapport, Harvard s’engage
À la publication de ce rapport, Harvard a pris plusieurs mesures, à commencer par la création d’un fonds de 100 millions de dollars baptisé Legacy of Slavery Fund. Il servira tout d’abord à créer des cours pour permettre aux futures générations d’avoir conscience des liens entre Harvard et l’esclavage. Comme l’indique le New York Times, un tel montant est très rare dans l’enseignement supérieur américain.
En outre, Harvard s’engage à créer des mémoriaux et à favoriser les échanges entre les professeurs et étudiants, et des universités qui n’ont pas eu de lien avec l’esclavage ou qui se situent dans des pays de provenance des esclaves. Enfin, l’établissement souhaite également s’attaquer aux disparités dans l’accès à l’enseignement supérieur.
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