Alimenté par les hausses constantes et spectaculaires des frais de scolarité des écoles de commerce françaises, le débat autour du coût de ces institutions pour les étudiants qui les intègrent est devenu un véritable marronnier dans le monde de l’enseignement supérieur. Celui-ci a pour corollaire la remise en question croissante du véritable retour sur investissement des études de management.
La solution pourrait passer par une refonte en profondeur de la pédagogie des écoles, éventuellement centrée autour des MOOC ; outil pédagogique jusque-là largement délaissé.
Des frais de scolarité en hausse, des salaires de sortie qui stagnent
Pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène, il suffit de parcourir le millésime 2018 de l’enquête sur les frais de scolarité des écoles de commerce post-prépa réalisé par le site internet Major-Prépa : pour trois années au sein de ces établissements (L3, M1 et M2), les préparationnaires doivent en moyenne s’acquitter de 38 268€, contre moins de 28 000€ en 2011. A cette date, aucune école ne facturait plus de 40 000€ de frais de scolarité ; elles sont six à le faire aujourd’hui. Elles sont même quatre à coûter plus de 45 000€, à l’image de l’ESCP Europe, qui est devenue en 2018 l’école la plus chère de France avec 47 400€ pour les trois ans.
De l’autre côté, la dernière enquête de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) parue en juin 2018 révèle que le salaire moyen brut hors primes des diplômés d’écoles de commerce s’élèvent à 34 947€, soit une hausse de 1,48% par rapport à 2017. Bien sûr, des écoles de management moins chères et moins prestigieuses sont aussi membres de la CGE. Il faut néanmoins rappeler que cette moyenne reflète en réalité un écart-type important au sein même des écoles prises individuellement, notamment parce que certains secteurs sont beaucoup plus rémunérateurs que d’autres. Cette légère augmentation est ainsi à mettre en comparaison avec l’augmentation moyenne de la somme dont doivent s’acquitter les étudiants post-prépas, qui atteint 5,0% en 2018 par rapport à l’an passé.
Si les raisons de cette augmentation structurelle des frais de scolarité sont connues et identifiées (baisse des subventions d’un côté, augmentation des coûts portée notamment par la recherche de l’autre), la situation n’en demeure pas moins problématique. Désormais, une majorité d’étudiants perçoivent un salaire brut de sortie inférieur à l’ensemble de leurs frais de scolarité.
De fait, les étudiants et leur famille seront-ils encore prêts à supporter de nouvelles hausses, alors que des alternatives comme les IAE (Instituts d’Administration des Entreprises), certes moins côtés que les Grandes Ecoles pour la plupart, sont quasi-gratuits ?
Dans un tel contexte, et alors que nombre d’écoles se targuent d’être pionnières sur le développement d’une pédagogie centrée sur le digital, on peine à comprendre pourquoi l’avènement des cours en ligne (MOOC), annoncé dès le début de la décennie 2010, n’a toujours pas eu lieu.
Les opportunités potentielles des MOOC : réduction des frais de structure pour les écoles, flexibilité pour les étudiants
Grossièrement, la valeur ajoutée d’une école de management pour un étudiant consiste en quatre aspects : le réseau de l’école, le prestige du diplôme, l’accompagnement (professionnel notamment) durant le cursus et enfin l’acquisition de savoirs et de compétences.
Or une majorité de ces compétences peuvent tout à fait être enseignées à distance. En plus de répondre au besoin de flexibilité de nombreux étudiants (investis par ailleurs dans leur projet associatif ou entrepreneurial, ou bien ayant un petit boulot ou des missions freelance à côté), cela permettrait assurément de réduire les coûts inhérents à l’enseignement et, par voie de conséquence, d’endiguer en partie l’augmentation des frais de scolarité. C’est aussi, à l’heure où les étudiants d’école de commerce aspirent à des parcours de plus en plus personnalisés et éclectiques, une façon d’atteindre le paroxysme du « parcours à la carte » déjà mis en place dans de nombreuses grandes écoles.
Pourquoi le développement des MOOCs piétienne
Dans un article publié dans la revue Harvard Business Review France, Flavien Bazenet, Valérie Fernandez et Thomas Houy, avancent, études à l’appui, des chiffres peu flatteurs pour les principales plateformes de MOOC : seulement 5 à 10% de rétention pour Coursera, EdX ou Udacity. Par ailleurs, la moitié des apprenants estiment ne pas avoir acquis les compétences qu’ils espéraient obtenir à l’issue du cours.
Les auteurs expliquent le caractère déceptif des cours en ligne par le fait que ces formats sont généralement conçus uniquement par le monde académique, ce qui induit un manque de connaissances des codes du web et donc un cours de piètre qualité sur la forme, tandis que les étudiants consultent habituellement des vidéos qui véhiculent un savoir extrêmement bien ficelées (Youtubeurs, TedX, etc.).
Le problème ne semble donc pas insurmontable, tant la génération des Millennials est consommatrice de vidéos à visée éducative et adhère à ces contenus. Cela suppose seulement de faire travailler ensemble acteurs du web et de l’enseignement.
Placer le curseur entre le digital et l’humain
L’autre réserve, bien souvent émise par les écoles elles-mêmes, est l’importance du contact humain dans la transmission de connaissances. Effectivement, l’enseignement des soft skills (le « savoir-être ») qui prennent une place croissante dans la pédagogie des business schools se fait difficilement hors des murs du campus. Du reste, la majorité des compétences techniques et théoriques (marketing, comptabilité, finance d’entreprise, etc.) enseignées en L3 et M1 notamment sont assez basiques et ne nécessitent pas vraiment un professeur pour les inculquer. C’est d’autant plus incontestable que dans ce type de matière, les étudiants se plaignent bien souvent de la faible valeur ajoutée des professeurs. Moins focalisés sur leurs missions d’enseignement que sur la recherche qu’ils doivent produire, ces derniers se contentent souvent de « lire les slides du PowerPoint » au grand dam de leurs élèves. Sans doute seraient-ils également heureux de se dégager davantage de temps pour leur cœur de métier…
Imaginons donc un instant une école dans laquelle les étudiants de première et deuxième année (avant spécialisation) suivent la quasi-totalité de leurs cours en ligne, à leur rythme, choisissent 90% de leurs matières (parmi une sélection très large touchant de près ou de loin au domaine du management) et ne viennent sur le campus que pour quelques séminaires et autres business games, l’accompagnement carrière ou les forums entreprises, leurs associations ainsi que les examens. Un chatbot animé par le professeur référent de chaque cours permettrait aux étudiants de trouver réponse à leurs questions et, éventuellement, une rencontre physique sur le campus avec celui-ci serait organisée ponctuellement.
Sur le papier, cela n’a rien de futuriste. Et pourtant aucune école ne s’est encore réellement engagée dans cette voie pour ses programmes en formation initiale. L’ESSEC s’est montrée précurseur en proposant un grand nombre de MOOCs (ouverts à tous pour la plupart, gratuits mais avec une certification payante). D’autres business schools ont depuis emboité le pas à l’école cergyssoise, à l’instar de Grenoble EM qui en propose également et avait annoncé en grandes pompes la création d’un cours en ligne pour « apprendre à lever des fonds » en janvier dernier. Mais ces initiatives n’ont aucune conséquence significative à l’aune des étudiants engagés dans ces programmes Bachelor ou PGE.
Quoi qu’il en soit, il devient certain que le statut quo en termes de pédagogie n’aura pas sa place dans les années à venir pour les écoles de management. La manière dont le savoir se diffuse évolue considérablement, et ces dernières n’ont d’autres choix que de monter dans le train pour demeurer attractives pour les étudiants, pertinentes dans leur approche pour les employeurs et, éventuellement, pour réduire leurs coûts d’enseignement.