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Mondiaux d’athlétisme de Doha et dérives du sport business

Les 17e Championnats du monde d’athlétisme se sont conclus le 6 octobre dernier. Cette édition est considérée par plusieurs observateurs comme l’une des plus compétitives au vu des nombreux concours très relevés qu’elle nous a offerts. Un exemple parmi d’autres : lors de la finale du lancer de poids, les trois premiers ont été séparés d’un tout petit centimètre et ils ont, par la même occasion, réalisé les trois meilleures performances de l’histoire des Mondiaux.

Cependant, ces Championnats ont également soulevé de nombreuses questions quant au bien-fondé de l’organisation d’un grand évènement sportif international dans une ville comme Doha. De nombreuses défaillances sont apparues durant la compétition. Ces Mondiaux d’athlétisme de Doha devaient être une vitrine pour le Qatar qui souhaite, par le biais de cette diplomatie sportive, accroître son rayonnement international. Sur la ligne d’arrivée, force est de constater que le bilan est négatif – et cela relève de l’euphémisme.

 

Une édition 2019 sous le feu des critiques

Pour bien se rendre compte de l’avis général qui se dégage à la suite de ces Mondiaux, il suffit de jeter un coup d’œil sur la presse qui, de façon unanime, pointe du doigt les dysfonctionnements de cette édition qatarie. Plusieurs problèmes se sont révélés au cours de ces 10 jours de compétition.

 

Des conditions climatiques terribles

Les Championnats devaient initialement se dérouler en août, ils ont été décalés d’un mois pour éviter de soumettre les athlètes à de trop fortes chaleurs. Un changement quasi inefficace puisque les températures avoisinaient les 40°C en journée et ne descendaient jamais sous les 30°C la nuit. A cette chaleur accablante, il faut ajouter un taux d’humidité très élevé (60% à 75%).

Pour pallier ce problème, l’équipe organisatrice a décidé que les épreuves hors stade se disputeraient de nuit (départ entre 23h et minuit). Un nouveau coup d’épée dans l’eau puisque les épreuves en question ont été marquées par des scènes ahurissantes tant les corps des sportifs ont été mis à rude épreuve.

Quelques chiffres pour montrer l’ampleur de l’hécatombe : 28 abandons lors du marathon féminin le jour d’ouverture ! Un tiers d’abandon sur les 50 kilomètres marche masculin et féminin ! Les images parlent d’elles-mêmes : des athlètes à bout de souffle, évacués sur des voiturettes. Un spectacle inhabituel et désolant qui a été vivement critiqué.

Parmi les attaques les plus frontales à l’encontre de l’organisation et de l’IAAF (Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme), on retrouve celles de deux recordmen français qui ont, avant même leur entrée en lice, exprimé leur mécontentement.

Yohann Diniz – champion du monde du 50km marche en 2017 à Londres (et détenteur du record mondial dans la même discipline) – a exprimé toute son amertume avant de remettre son titre en jeu : « Je regrette d’être venu à Doha (…) Finalement, en arrivant je me demande à quoi ça sert de m’être autant préparé pour servir de cobaye ». Suivi de propos plus fleuris pour dénoncer le « manque de respect » à l’égard des athlètes hors stade.

Kévin Mayer, également champion du monde en 2017 et recordman mondial dans sa discipline (décathlon), n’a lui non plus pas mâché ses mots au sujet de ces Mondiaux : « C’est une catastrophe (…) Ici, on n’a pas vraiment pensé aux athlètes. » Deux messages forts portés par des voix influentes de l’athlétisme et qui démontrent le malaise et l’incompréhension régnant autour de ces Mondiaux.

En ce qui concerne les épreuves qui se sont déroulées au sein du Khalifa International Stadium, la température a été maintenue à 25 degrés grâce à plus de 3 000 bouches d’aération. Une différence chaud-froid importante avec laquelle les athlètes ont dû composer. Par ailleurs, alors que les évènements sportifs tendent à s’inscrire de plus en plus dans une logique de durabilité, l’impact écologique d’un tel système de climatisation pose nécessairement question.

Petit exemple comparatif : le stade Al-Wakrah – premier stade inauguré en vue de la Coupe du Monde de football 2022 qui se déroulera au Qatar, et qui est également doté d’une climatisation gigantesque – consomme autant qu’un aéroport. Le coût environnemental lié à l’organisation d’un évènement sportif dans une région du monde si aride ne peut être éludé.

 

Un manque d’engouement populaire

Le Khalifa International Stadium, pourtant rénové en 2017, n’a pas attiré les foules

Autre problème remarqué : tout au long de la compétition, le stade a sonné creux… En effet, malgré des spectacles son et lumière remarquables, l’enceinte a eu beaucoup de mal à se remplir. Même lors de la finale du 100m masculin – qui est pourtant l’épreuve reine de ce Championnat – seulement 8 000 spectateurs étaient présents, alors que la capacité d’accueil est de 40 000 personnes. En tout, 50 000 billets ont été vendus, un faible total. Des travailleurs immigrés ont même été recrutés et rémunérés pour garnir les travées du stade.

 

Une corruption avérée ?

Dernier point noir pour ces Championnats, et pas des moindres : des soupçons de corruption planent au-dessus des candidatures de Doha aux Mondiaux d’Athlétisme 2017 et 2019. Des doutes qui ont refait surface en mai dernier suite à la mise en examen par la justice française de Lamine Diack, ancien président de l’IAAF, et Yousef Al-Obaidly, directeur général de BeIN Sports.

En 2011, deux versements d’un montant total de 3,5 millions de dollars ont été réalisés par la société Oryx Qatar Sports Investment au profit d’une société sénégalaise dirigée par Papa Massata Diack, fils de Lamine Diack. Un transfert qui aurait garanti au Qatar l’organisation des Mondiaux.

Un problème de plus à gérer pour Sébastian Coe, président actuel de l’IAAF, qui a déjà fort à faire avec l’image de sa fédération qui ressort écornée après cette semaine et demi de compétition.

 

La diplomatie sportive qatarie mise à mal

Depuis plusieurs années, le Qatar investit des sommes colossales pour s’imposer sur la scène sportive internationale. Le sport devient ici un vecteur du soft power qatari.

L’émirat développe cette stratégie de deux façons.

Premièrement, via des investissements à l’étranger, en France notamment avec, entre autres, le rachat du Paris Saint-Germain en 2011 et le sponsoring de la course hippique Prix de l’Arc de Triomphe renommée Qatar Prix de l’Arc de Triomphe de 2008 à 2022.

Deuxièmement, à travers l’organisation d’évènements sportifs internationaux : Championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d’athlétisme en 2019, de natation en 2023 et, bien évidemment, la Coupe du monde de football 2022. Pour cet événement, le Qatar dépense la bagatelle de 500 millions de dollars par semaine dans la construction des infrastructures !

L’objectif étant de démontrer toute la puissance financière du pays avec des installations flambant neuves et aussi de montrer que le pays a la capacité d’accueillir et d’organiser dans de bonnes conditions de tels évènements.

En 2013, Sheikh Saoud bin Abdulrahman Al-Tahni, secrétaire général du comité olympique du Qatar, expliquait devant la presse sportive internationale qu’il se fixait pour 2030 un objectif très ambitieux : 50 compétitions sur l’année soit « une pour chaque semaine ».

Le Qatar renforce ainsi son image de Bidding Nation, c’est-à-dire de « Nation Candidate ». Dans le même temps, les sélections nationales sont renforcées pour faire bonne figure – voire plus – lors des compétitions.

Les naturalisations – plus ou moins facilitées selon la législation des différents sports – permettent aux équipes de renforcer leurs effectifs. Et les résultats ne se sont pas faits attendre, à l’instar de l’équipe de handball, finaliste des Championnats du monde à la maison en 2015 ou encore de l’équipe de football victorieuse de la Coupe d’Asie des nations en 2019.

 

Cependant, l’ensemble des problèmes évoqués remettent grandement en cause la démarche entreprise.

Ces Mondiaux 2019 ont exposé aux yeux du monde des difficultés nombreuses et sévères dans la gestion d’un évènement sportif majeur. Si les précédents Championnats du monde organisés à Doha ont également connu quelques couacs – en particulier celui de handball avec un public aux abonnés absents -, cette édition 2019 prend une résonance particulière avec d’une part, le mécontentement des athlètes soumis à des conditions extrêmes et d’autre part, des questionnements de plus en plus forts sur le coût environnemental que peut représenter un tel évènement. La remise en cause est extrêmement forte ce qui a nécessairement relancé le débat entourant le Mondial 2022.

 

La Coupe du Monde 2022, un échec annoncé ?

Logo Coupe du Monde 2022

 

Le tournoi ne débutera que dans 3 ans mais il est déjà massivement pointé du doigt et fait l’objet de nombreuses interrogations, renforcées depuis peu.

Si l’on remonte aux origines de ce Mondial 2022, la désignation du Qatar en tant que pays hôte pose déjà question puisqu’il y a, à nouveau, des soupçons de corruption et de pressions politiques impliquant des membres de la FIFA (Fédération Internationale de Football) mais aussi l’équipe de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy. L’affaire, renommée Qatargate, est en cours.

De plus, les conditions de travail des employés sur les chantiers – huit stades vont être construits ou réaménagés pour l’évènement – sont vivement critiquées.

Le 7 octobre 2019, le quotidien britannique The Guardian a fait des révélations en décrivant les conditions de travail extrêmes (températures jusqu’à 45°C et des journées de travail de 10h) et, selon leurs estimations, 2 700 ouvriers ont trouvé la mort entre 2012 et 2018. Quelques jours après la parution de l’article, l’ONU, via l’Organisation internationale du travail (OIT), a appelé à une protection renforcée des travailleurs contre la chaleur. De nombreuses ONG déplorent cette situation plus qu’alarmante depuis plusieurs années déjà. Selon Amnesty International, des dizaines de travailleurs étrangers, ne sont pas payés depuis des mois et sont parfois expulsés s’ils demandent à l’être.

D’autre part, comme expliqué plus haut, les considérations écologiques se font de plus en plus nombreuses et ajoutent au discrédit déjà porté à cette Coupe du Monde.

En somme, sans avoir à peine commencé, ce Mondial 2022 est déjà entaché de nombreux scandales qui éclaboussent aussi bien les autorités qatariennes que la FIFA. Dès 2014, Sepp Blatter, ancien président de l’institution et actuellement suspendu de toute activité liée au football pour différentes affaires, a reconnu une « erreur » concernant cette attribution.

 

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