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La construction européenne : une histoire économique

L’Europe est d’abord une idée. Une idée « née il y a bien des années, et qui a hanté l’imagination des philosophes et des poètes », pour reprendre les mots d’Aristide Briand. Elle est aussi et surtout des « réalisations concrètes, créant une solidarité de fait » entre les États qui la composent, pour Robert Schuman, dans le discours de l’Horloge que nous commémorons aujourd’hui, Journée de l’Europe.

 

L’Union Européenne, « union sans cesse plus étroite entre les peuples », s’est immensément transformée et renforcée depuis 1950 : pensée au départ comme une coordination et une aide pour mieux organiser la production de charbon et de l’acier, deux industries cruciales dans la reconstruction post-1945, elle a acquis par certains aspects un rôle fédéral. Ainsi, certaines compétences relèvent exclusivement de la Communauté, comme le stipule l’article 3 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Parmi celles-ci, on retrouve la mission principale d’une banque centrale :  la politique monétaire.

 

Des acquis indéniables de la construction européenne

L’unification européenne a résulté en deux acquis principaux qu’il faut sans cesse rappeler : la paix et la prospérité. Après des siècles de luttes fratricides – « une guerre entre Européens est une guerre civile » disait Victor Hugo -, aucune guerre n’a plus eu lieu entre deux membres de l’Union.

Le « dividende » de cette paix durable a été de permettre une plus grande intégration économique, que ce soit entre entreprises, mais aussi sous la forme du tourisme, de l’échange de services – culinaires en particulier – mais aussi dans l’échange entre entreprises ou dans l’intégration de la production entre les pays européens.

Les gains liés à l’intégration économique sont extrêmement importants : plusieurs études démontrent que l’approfondissement du marché unique a permis de créer 3,6 millions de nouveaux emplois entre 1990 et 2015. En outre, le PIB de l’Union serait inférieur de 8,7% en cas de « Non-Europe » : résumé au niveau individuel, cela signifie que le marché unique rapporte 840€ par an à chaque citoyen de l’UE.

Plus précisément, la création du Marché commun et la suppression des barrières douanières a permis à l’économie de trouver de nouveaux débouchés, favorisant les économies d’échelle et l’innovation. Pour le consommateur, cette concurrence a conduit à des produits moins chers ainsi qu’à une palette de choix bien plus large. Au niveau français, tous les secteurs en ont bénéficié :  primaire – l’agriculture, la France étant le principal producteur européen -, secondaire – l’industrie aéronautique par exemple – ou tertiaire – avec le tourisme, entre autres.

L’Union a aussi permis la constitution des « champions européens » que sont Airbus, ArianeGroup ou Stellantis. Ce mouvement doit se poursuivre, par exemple en matière financière avec l’European Payments Initiative, un standard européen qui donnera la possibilité de réaliser des paiements instantanés à l’échelle du continent, qui sera lancé à la fin de l’année 2023 pour les particuliers. La Banque de France, et l’Eurosystème de manière plus globale, soutiennent cette initiative émanant d’une vingtaine d’établissements bancaires.

 

Des banques centrales impliquées dans l’accompagnement et le soutien au développement économique du continent

Les banques centrales ont activement contribué à ce développement économique, en complète coopération, par exemple dans le cadre de la politique de change avec le « serpent monétaire européen » entre 1972 et 1979 – la Banque de France et la Bundesbank achètent ainsi conjointement pour près de 4 milliards de dollars en 1973 en moins de… 90 minutes !

La stabilité des prix et des changes rendue possible par le système monétaire européen a contribué au développement du commerce dans la zone, en éliminant les incertitudes et en participant au renouvellement de la confiance entre les peuples, à travers la confiance dans leurs monnaies respectives, avant la mise en place de la monnaie unique.

Créé par le Traité de Maastricht en 1992, mis en place en 1999 comme unité de compte légale, et disponible sous forme de pièces et de billets depuis 2002, l’euro est l’un des symboles les plus aboutis de la coopération européenne, et sûrement le plus « visible ». D’ailleurs, les billets marquent cet état d’esprit : au recto de chaque billet sont représentés des fenêtres et des portails, qui personnifient l’esprit d’ouverture qui règne au sein de l’Union ; les ponts représentés au verso symbolisent le lien qui unit les peuples européens entre eux, mais aussi entre l’Europe et le reste du monde.

 

Une accélération de la coordination financière en Europe suite aux crises

L’Europe, à l’instar de la princesse phénicienne éponyme, s’est avant tout construite dans les crises et les épreuves, en avançant selon la méthode prônée par Jean Monnet, celle des « petits pas ».

Au niveau financier, la crise de 2008 a conduit à la création de nouvelles structures continentales : le mécanisme de surveillance unique (MSU) supervise les établissements bancaires de la zone euro et leur bon respect de la réglementation financière ; le mécanisme de résolution unique (MRU) assure une restructuration ordonnée lorsqu’un établissement est en situation de défaillance avérée ou prévisible.

De même, le risque de déflation a conduit à utiliser de nouveaux outils de politique monétaire, dits « non-conventionnels », comme l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), le « guidage prospectif » (forward guidance), des opérations ciblées de refinancement de long terme ou l’introduction de taux d’intérêt négatifs. Ces nouveaux outils donnent une force de frappe importante à la Banque centrale européenne et lui permettent de remplir son mandat de stabilité des prix.

Plus récemment enfin, la crise sanitaire a permis – c’est sans doute un de ses rares points positifs – l’adoption du plan Next Generation EU, doté à hauteur de 750 milliards, principalement destiné à financer les transitions écologique et numérique ainsi qu’à favoriser la stabilité macroéconomique et l’équité sociale. La véritable avancée consiste dans le financement de ce programme, la Commission européenne étant pour la première fois habilitée à emprunter des fonds sur les marchés de capitaux. La Banque de France a d’ailleurs été sélectionnée pour la gestion du mécanisme d’adjudication de la dette de l’Union, du fait de son savoir-faire reconnu dans ce domaine avec notre dette nationale.

 

De nombreux défis à venir…

L’Europe fait face à d’immenses défis économiques, dans le contexte de la guerre en Ukraine, de difficultés d’approvisionnement et de perturbations des chaînes de valeur, mais aussi, plus globalement, d’un certain mouvement de démondialisation.

Le premier est évidemment l’inflation, mandat principal de la BCE et des banques centrales nationales. Le second est la transition écologique et énergétique, dont les besoins sont estimés à près de 1000 milliards d’euros par an pour assurer la neutralité carbone en 2050, ainsi que la transition numérique. Le troisième est celui de notre souveraineté, dont les limites ont pu être mesurées lors des dernières années. Le quatrième est sans doute le vieillissement de la population et le financement de notre système social. La gestion de notre dette publique avec la renégociation à venir du Pacte de stabilité et de croissance est vraisemblablement le dernier.

 

…et des solutions concrètes pour les résoudre

Comment y parvenir ? Que peuvent faire les banques centrales ? Pour lutter contre l’inflation, l’action coordonnée de l’Eurosystème, la remontée des taux directeurs et la fin des programmes d’achats d’actifs nous rendent confiants sur la perspective d’un retour à notre cible de 2 % d’ici la fin 2024 à fin 2025.

Concernant les autres défis, et si l’Europe est parfois vue, à tort, comme inefficace ou technocratique, la raison en est sans doute qu’elle se trouve aujourd’hui à mi-chemin entre fédération et confédération, entre « États-Unis d’Europe » hugoliens et « Europe des Nations » gaullienne. L’Eurosystème, qui regroupe les vingt banques centrales partageant l’euro comme monnaie, prouve que des politiques menées dans le sens de l’intérêt général européen – et non purement national – sont possibles, et même souhaitables.

Aussi, nous souhaitons, à la Banque de France, la mise en place d’une Union des marchés de capitaux (UMC), permettant de faire circuler les investissements et l’épargne entre tous les États membres, avec une diversification géographique des sources de financement, et en partageant les risques du secteur privé grâce au développement du financement par fonds propres.  Une UMC verte, avec des investissements de long terme orientés vers les PME, contribuerait à améliorer la stabilité financière, relancer la croissance et limiter les chocs asymétriques.

En outre, la consolidation du marché bancaire, avec des restructurations transfrontières pour créer de grandes banques dont le marché serait continental, notamment en parachevant l’Union bancaire à travers un mécanisme européen de garantie des dépôts, faciliterait le financement de notre économie européenne.

Plus généralement, la solution nous vient sûrement de Mme de Staël : « il faut dans nos temps modernes, avoir l’esprit européen ». Autrement dit, nous départir de nos préjugés, et, au lieu de refuser l’altérité, nous y confronter et l’accepter, pour parvenir à une communauté « unie dans la diversité », comme le rappelle la devise de l’Union.

Ce billet at été rédigé par Fabrice Hermel, directeur de la communication de la Banque de France

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