Conscientes des critiques formulées par leurs étudiants à propos des cours et des méthodes d’enseignement, les Grandes Ecoles s’essayent presque toutes au learning by doing, censé impliquer davantage les élèves dans la transmission des savoirs. L’ESC Pau est à ce titre la Grande Ecole la plus avancée en la matière, puisqu’elle entend placer ce précepte pédagogique au cœur même de son modèle d’apprentissage. Nous avons demandé à Mathias, étudiant à l’ESC paloise, de nous parler des dispositifs mis en place.
C’est une rentrée un peu particulière qui attend les premières années du Programme Grande École fraîchement débarqués en terre paloise. Et pour cause, c’est in media res que les choses sérieuses débutent pour ces nouveaux étudiants. La raison ? Une nouvelle stratégie pédagogique qui se veut davantage pragmatique. Vous avez dit « cobayes » ? On vous explique tout !
Introduction au Business Game
À l’heure de l’immixtion des nouvelles technologies dans la pédagogie et de l’émergence, plus ou moins rapide, de nouveaux modes d’enseignement avec le « e-learning », la réalité virtuelle, ou même les « Learning Labs » ; l’ESC Pau a décidé, quant à elle, d’opter pour le Business Game comme fil directeur de sa première année. Kézako ?
Là, où GTA et FIFA n’apportent aucun contenu pédagogique si ce n’est celui de connaître les limites psychologiques de ton meilleur ami que tu martyrises régulièrement, le Serious Game – auquel appartient le Business Game -, comme son nom l’indique, se veut l’alternative à la pédagogie « à l’ancienne ». Il s’agit là d’un jeu de rôle aux vertus pédagogiques qui n’est, ni plus ni moins, qu’un prodigieux logiciel – codé, soit dit en passant, par des grands malades ! – capable de recréer un environnement économique réaliste pour vous mettre dans la peau d’un chef d’entreprise. Quoique les scénarios varient, le but comme pour toute entreprise est d’être le plus rentable possible sur un temps imparti. Mais attention, la concurrence est rude et l’anticipation de mise pour espérer l’emporter, car vos petits camarades feront tout – vraiment tout – pour gagner des parts de marché : l’océan n’est pas bleu mais bel et bien rouge ici…
Le Business Game comme pierre angulaire du programme ESC 1
Très bien me direz-vous, mais quid de l’originalité ? Après tout, la majorité des grandes écoles ont recours à cet outil pédagogique, alors pourquoi prendre la peine de rédiger un article à ce sujet ?
Certes, le Business Game est une pratique courante au sein des écoles mais en revanche, ce qui l’est moins, c’est de bâtir tout son programme dessus, du moins un semestre entier. Et pour cause, fraîchement intégrées, les nouvelles recrues seront dès le troisième jour propulsées aux manettes d’une entreprise virtuelle, rien que ça ! Pour couronner le tout, leur salle de classe sera délocalisée trois jours à Biarritz, histoire de marquer le début des hostilités. Pourtant, je vous vois venir, vous qui avez déjà pu tester ce genre de jeu : tout cela est inutile, les étudiants seront perdus, les décisions seront prises quasi aléatoirement, et l’apprentissage sommaire car ces logiciels sont déjà compliqués à prendre en main, alors en trois jours, c’est mission impossible ! J’entends, mais attendez de voir comment cela va se dérouler.
Nathalie Darras, responsable du département académique Finance-Economie nous explique :
« Nous avons opté pour 3 jours d’immersion afin de mieux comprendre le jeu et le cas étudié. Délocaliser doit nous permettre de sortir du cadre, créer une synergie forte et un début d’expérience à l’ESC Pau. Pour le reste du semestre, nous jouerons tous les lundis avec une remise des prix à la fin du semestre. Deux jours, à la fin de l’année, seront également consacrés au Business Game ; le but étant de vérifier que les fondamentaux ont été acquis et de revenir ensemble sur cette expérience.
Tous les professeurs de la première année seront mobilisés autour du Business Game (dont 3 exclusivement pour la délocalisation et le suivi hebdomadaire des équipes jusqu’à la fin du semestre). Les cours de finance, marketing et management du semestre s’appuieront sur l’entreprise gérée par chaque groupe dans le Business Game comme exemple d’application.
Ainsi, les attentes académiques sont centrées sur l’apprentissage par l’expérience. Les enseignants amènent les étudiants à se poser les bonnes questions dans les principaux domaines de la gestion d’entreprise et à réfléchir sur des réponses possibles afin d’en tester immédiatement la pertinence au travers du jeu. Le modèle pédagogique n’a pas fondamentalement changé, mais a évolué vers une plus grande part de l’expérientiel dans les enseignements. Sortir les élèves de leur « zone de confort » dès leur arrivée à l’école, n’est-ce pas là, une manière de les faire réagir et prendre conscience du monde qui les attend ? Nous souhaitons ainsi, faire évoluer les méthodes pédagogiques en usant de mises en situation, en donnant du sens aux enseignements et en favorisant les échanges enseignants-étudiants.
L’apprentissage par l’expérience (ou experiential learning) est déjà utilisé dans nos spécialisations ; nous le généralisons maintenant à l’ensemble du programme grande école. »
Vous l’aurez compris, on généralise ici le learning by doing, la stratégie pédagogique repose dorénavant sur une formation empirique. Les étudiants sont directement plongés dans le grand bain et confrontés d’emblée aux problématiques rencontrées par le manager dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Plus que manager, il agit en intrapreneur. Fini donc les innombrables heures en amphi à accumuler des théories par dizaines que tu ne ressortiras que partiellement aux examens, sans jamais les mettre en pratique avant tes premiers stages ou ton alternance. Maintenant, place à l’action !
À cela les détracteurs émettront deux objections : la première, c’est qu’on part du postulat que l’élève a, au préalable, appris son cours ce qui n’est pas tout le temps vrai, pas folle la guêpe… Soit, mais contrairement à un partiel, les résultats de son manque de travail seront immédiats, les résultats se dégraderont, l’entreprise coulera et son égo avec ; car si le travail est nécessaire, l’émulation facilite la tâche et nous pousse à toujours vouloir faire mieux, pour certains, il en va de son amour propre ! La deuxième étant de savoir comment conserver la dynamique impulsée par le Business Game qui ne banalisera « qu’un » semestre. En effet, si ce dernier est suivi d’un retour à des cours uniquement théoriques en amphi, cela n’a pas grand intérêt. Mais là, encore le système a été pensé pour ne jamais démobiliser les étudiants !
Après le virtuel, place au réel !
En effet, pour le second semestre, on rend les choses encore plus concrètes. Après la simulation, place à la réalisation. Or, quoi de mieux que les associations de l’école pour mettre en pratique tous les savoirs accumulés au cours du Business Game ? C’est là qu’intervient le projet « Business Asso ». Les étudiants seront alors en charge d’une association déjà existante ou qu’ils devront créer et monter eux-mêmes. Ils devront alors veiller à la développer avec tout ce que cela suppose : gestion du budget, d’une équipe, de la communication, mise en place de l’évènementiel et des partenaires commerciaux, etc. Après tout, comme le rappelle Sébastien Chantelot, directeur du groupe ESC Pau, une association est une entité qui se gère comme une entreprise. Quoi de plus normal donc que de placer les étudiants aux commandes de ces associations en guise d’exercice pratique ! Vous l’aurez compris, cette nouvelle stratégie pédagogique adoptée par le groupe a un goût tout particulier et ressemble à un véritable baptême du feu pour les premières années qui devront savoir faire preuve d’adaptation, d’écoute et de cohésion s’ils veulent espérer finir dans le top 3 des meilleures associations en termes de mission, de réalisation et… de rentabilité.
L’expérimentation comme fer de lance de la nouvelle direction
Il est vrai que cette démarche s’inscrit dans la nouvelle politique du groupe initiée par Sébastien Chantelot depuis son arrivée à la tête du groupe en 2015. Après une évolution de la communication en externe, notamment avec le projet « #ProudAndUnique », c’est au tour de la pédagogie d’être repensée. Ce dernier présente le programme grande école comme une palette de connaissances que tous les étudiants en École de Commerce posséderont dans leurs bagages au sortir de la diplomation. Difficile donc pour un employeur de savoir faire le tri parmi les candidats. En revanche, le critère de différentiation, c’est le savoir-être ou plutôt devrais-je dire, les savoir-être que l’on ne peut acquérir qu’une fois sur le terrain. Pour cela, nous dit-il, la pédagogie doit s’adapter et évoluer, et ce, chaque année s’il le faut. Bien évidemment, le socle de connaissances reste le même, il y a de la Finance, du Marketing et tutti quanti. Mais ce qui change, c’est tout ce que l’on propose autour, toutes les expériences que l’on développe et qu’on incorpore à cette palette de connaissances. Le Business Game rentre dans cette politique, c’est très clairement un essai, le corps professoral ne s’en cache pas, toujours étant qu’il a le mérite d’innover tant sur le fond que sur la forme. Or comme Sébastien Chantelot aime à le rappeler à ses étudiants en entrepreneuriat – car oui, il continue de donner des cours malgré son emploi du temps bien rempli – la réussite n’est que rarement immédiate, il faut faire des erreurs, connaître l’échec, savoir se relever, toujours recommencer, rectifier le tir pour enfin arriver à survivre dans le monde de l’entreprise.
Le profil de l’étudiant à l’issue du programme est celui du maker : il sait évoluer en situation d’incertitude, en mode projet, nomade, il propose, teste, évalue et développe, innove en permanence. L’innovation n’est ni un art ni une science : c’est une pratique ; et le programme grande école tient en trois points : pratiquer pratiquer pratiquer. Ce discours prônant l’adaptation se retrouve ainsi dans la pédagogie qui, d’une année sur l’autre, peut être bouleversée. Il faut, nous dit-il, sans cesse repenser pour mieux améliorer l’enseignement et ainsi davantage s’adapter au monde du travail, au marché. Dans le cas contraire, on risque de produire des étudiants coupés de la réalité économique, passifs, ou pire encore, de simples copies sans âme qui vive dans leur CV. À l’ESC Pau les étudiants sont constamment coachés, la pédagogie proposée autour de petits groupes d’apprenants (les promotions sont réparties dans des groupes de 30 étudiants) permet une interaction intense avec le corps professoral. L’apprentissage autour du coaching n’a qu’un but : rendre l’étudiant acteur de sa propre formation et structurer son parcours afin qu’il puisse s’engager vers l’avenir qu’il souhaite.
Ce Business Game serait-il donc le début d’une longue refonte du système pédagogique ? Ou simplement, la mise en avant de l’expérimentation au sein des programmes ? Toujours est-il que l’on retrouve bien là les 3 valeurs du groupe que sont : l’engagement, l’innovation et l’authenticité. Il y a fort à parier que ce nouveau mode d’enseignement devrait éveiller les consciences et encourager les étudiants à faire parler leur imagination car rappelons que l’entrepreneuriat est l’un des secteurs forts de l’école, toujours plus porté par l’école grâce à l’inauguration de l’incubateur palois « L’Entre Pau ». Affaire à suivre donc…
Mais pour l’heure, il ne reste plus qu’à souhaiter bonne chance aux nouvelles recrues. May the force be with you !