Alors qu’il figure parmi les moyens de transport les plus écologiques, les prix des billets de TGV n’en finissent pas de crever le plafond, quasiment toujours plus cher que la voiture et allant jusqu’à être moins attractif financièrement que l’avion. Comment est-ce possible ? Pourquoi les baisses tarifaires promises par la SNCF semblent invisibles ? Analyse.
Pourquoi prendre le TGV ?
La petite histoire du TGV
Le TGV est une exception française, qui a tout l’air d’une aberration au moment de son développement : alors que le monde entier s’organise autour de la voiture individuelle (en témoigne la construction de la gare Montparnasse, pensée à l’époque pour permettre aux voitures de pénétrer dans le hall, presque jusqu’aux quais) et que tout porte à croire que les chemins de fer sont une antiquité sans avenir (à l’exception éventuelle des trains de banlieue), des essais portant le record de vitesse sur rails à près de 330 kilomètres à l’heure rebattent les cartes, et poussent la France à se concentrer à nouveau sur ce moyen de transport.
La confiance qu’on voue au TGV commence à prendre de l’importance quand la crise du pétrole, en 1973, remet en question le rêve du tout pétrole. Les prototypes du TGV, fonctionnant à l’origine avec une turbine, laissent place à un moteur électrique, et la première LGV de France, reliant la capitale à Lyon, est inaugurée le 22 septembre 1981. Véritable pari à l’ouverture, son succès est tel pour la SNCF que construire d’autres axes devient une évidence. Seront inaugurées d’autres dessertes, d’abord vers la Bretagne, puis vers Bordeaux, Lille, et même des capitales européennes (à l’image de Bruxelles, Amsterdam, et évidemment Londres, grâce à l’ouverture du tunnel sous la Manche).
Le succès ne se confinera toutefois pas à la France : des rames du TGV sont commandées par de nombreux autres pays et une très grande partie du territoire finit par être relié à Paris par une des multiples lignes à grande vitesse. C’est donc sa promesse presque « écologique » qui a en grande partie participé à implanter le TGV, qu’on peut désigner comme grand responsable du sauvetage in extremis du réseau ferroviaire français.
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Pourquoi le TGV est écologique ?
Un fait est indéniable, jamais remis en question : le TGV est parmi les moyens de transport rapide les moins polluants. Comment expliquer cela ? La raison est très simple : les ingénieurs du TGV ont tout fait pour limiter les frottements. Sans entrer dans les détails techniques, le TGV est conçu pour reposer sur deux fois moins de roues que les trains classiques (avec un bogie par voiture au lieu de deux), permettant de diviser par deux la surface de contact entre le train et les rails. Le train glisse donc sur moins de surface, et les frottements étant limités, il ne perd quasiment pas de vitesse dès lors qu’il en prend.
La gestion de l’air, avec des voitures quasiment collées et une conception qui se veut la plus aérodynamique possible, lui permet là encore de fendre l’air et de ne pas laisser d’interstice dans lequel le vent pourrait se glisser et ralentir la marche du train. Sans frottement et avec un poids pachidermique, le train n’est quasiment pas ralenti une fois lancé. Une fois sa vitesse de croisière atteinte, il ne consomme presque plus d’énergie.
C’est également la raison pour laquelle un TGV doit limiter ses points d’arrêt : concrètement, à chaque fois qu’il s’arrête, il fait exploser son bilan carbone, parce que repartir lui demande de très grosses ressources ; mais, pour des longs trajets sans interruption, l’architecture et le modèle de ce train sont tous deux optimaux pour rendre les déplacements les plus efficients possible. C’est probablement une part non-négligeable de ce qui a fait son succès : un moyen de transport tout particulièrement adapté à l’organisation de l’ensemble de la société française en villes comme pôles d’influence majeurs, reliées les unes aux autres pour simplifier les échanges de marchandises et d’informations.
Le TGV n’est pas un service public !
C’est la première explication qui explique des prix aussi élevés : là où, pendant longtemps, nombre de lignes de transport étaient jugées comme assurant « une mission de service public », avec un tarif règlementé et des prix au kilomètre, le TGV n’a jamais eu ce statut. Ainsi, les prix ne sont pas réglementés et la SNCF peut appliquer les tarifs qu’elle souhaite. Elle les alignera quasiment toujours sur l’offre et la demande, d’où des prix pas forcément en corrélation directe avec le coût de la prestation.
C’est aussi ce qui explique l’indépendance totale du TGV : il n’est pas subventionné par la puissance publique. Il et est géré comme n’importe quelle entreprise, devant non seulement être rentable mais également dégager des marges, tout autant de facteurs qui participent à faire grimper la note pour les voyageurs.
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Combien coûte une ligne de TGV ?
Grande vitesse, grandes exigences
Pour faire rouler un TGV à près de 300 kilomètres par heure, on ne peut pas se contenter d’une voie classique : il faut impérativement une ligne optimisée, conçue pour y rouler vite, avec peu de rampes et de virages. Bien sûr, certains trajets en TGV ne se font pas sur ce type de lignes, mais ils se font alors à vitesse très réduite, quasiment à la vitesse d’un TER conventionnel. Il faut donc des investissements massifs pour garantir le développement du réseau, puisque construire de telles lignes coûte très cher : le prix moyen au kilomètre de la construction des LGV (Ligne à Grande Vitesse) oscille entre 5 et 20 millions d’euros, selon les lignes et selon Statista. Et pour cause : la grande vitesse, c’est plus de coûts préparatoires, plus de viaducs, des aiguillages et bifurcations plus complexes, et même des installations électriques plus importantes.
Il faut donc impérativement financer, d’une manière ou d’une autre, ces très gros investissements, d’autant qu’ils continuent : la très controversée ligne de LGV Bordeaux-Toulouse, qui a longtemps fait l’actualité et devrait être inaugurée aux alentours de 2030, se doit bien d’être financée !
Comment sont financées les lignes de TGV ?
C’est ce qui explique le prix si élevé du passage des trains. Car oui, depuis la fondation de RFF, prédécesseur de SNCF Réseau, la gestion du réseau est externalisée : à l’instar d’une autoroute, la SNCF doit payer, pour chaque kilomètre emprunté et en fonction du temps d’occupation des voies, un péage. C’est ce modèle qui permet de financer les développements du réseau.
Et du fait de l’existence du TGV, tout comme de l’entretien des moyens de transport en Île-de-France, parmi les réseaux de transport les plus touffus et complexes du monde, le coût du péage est près de deux fois plus élevé en France qu’ailleurs. Si le temps d’occupation d’une voie par le TGV n’est pas très élevé, c’est malgré tout un gros coût qui doit être avancé par la SNCF, coût qui se lit forcément dans le prix moyen d’un billet de TGV.
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Le yield management, choix clivant de la SNCF
Si le TGV est si cher, c’est principalement à cause d’un biais causé par la méthode de fixation des prix de l’entreprise : le yield management. Derrière ce nom assez peu évocateur se cache un modèle économique particulier, qui met l’emphase sur l’offre et la demande pour remplir de manière optimisée les trains. Concrètement, plus les billets pour un trajet s’écoulent rapidement et sont demandés, plus le prix augmente et, inversement, l’idée est d’ajuster le prix afin d’éviter à la fois des prix trop bas, qui feraient vendre à perte, et des trains partant sans être complets.
Le problème devient alors assez clair : puisque nous partons tous environ aux mêmes dates (pendant les vacances d’été, à Noël, et majoritairement les samedis) et aux mêmes horaires, nous cherchons tous à réserver des billets pour les mêmes trains, qui sont donc mécaniquement très chers. Ainsi, alors même que le prix moyen d’un billet de TGV est aux alentours de 50 euros, parce qu’on souhaite tous partir au même moment, on finit par ne pouvoir se tourner vers le train que quand on en a les moyens. Au point d’en oublier l’option TGV : une bonne partie de la jeunesse se retrouve par exemple contrainte de se tourner vers les cars longue-distance, offrant une expérience voyageur, des temps de trajet et un confort qu’il ne semble pas exagéré de qualifier de catastrophiques, en tout cas comparés au train.
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Comment trouver des billets de TGV aux meilleurs prix ?
Mais alors, comment profiter malgré tout du TGV et des billets les moins chers ? Si le OUIGO, forme de TGV low-cost, a longtemps été une solution, les lignes sont aujourd’hui gérées avec les mêmes méthodes et la même philosophie par la SNCF que les TGV classiques, au point que la différence ne soit parfois que de quelques euros.
De la même manière, si réserver très en avance devrait théoriquement aider à réduire les prix, la SNCF anticipe en partie la demande sur les gros trajets et place dès le départ les prix particulièrement hauts. La seule option reste donc de viser les trajets les moins plébiscités : partir en semaine ou avec des trajets tard le soir, voire même décaler ses vacances. Ce sont des méthodes globalement très connues, et qui ne sont évidemment pas toujours possibles, mais qui semblent demeurer le seul moyen de faire baisser la note.
Il est toutefois à noter que l’offre et la demande restent en partie limitées par les choix et actions de la SNCF. L’entreprise semble avoir mis en place une sorte de « bouclier tarifaire », sur les trajets les plus courts : on peut lire sur SNCF Conntect un trajet de moins d’1h30 ne peut théoriquement pas excéder les 39€ TTC et un trajet de 3h ne peut atteindre les 60€. Malgré tout, 60 euros pour un trajet de près de 2 heures reste malgré tout assez cher, d’autant qu’une carte avantage est obligatoire pour bénéficier de tels tarifs.
La concurrence va-t-elle faire baisser le prix des TGV ?
Tuer les petites lignes pour des billets moins cher ?
Vraisemblablement, l’un des premiers effets de la privatisation sera de faire baisser les prix du TGV, puisque ce sont les lignes sur lesquelles les marges sont les plus importantes. Mais à quel prix ? Car si les marges de la SNCF sont grandes, elles existent aussi et surtout pour permettre l’existence d’autres lignes : faire des marges sur le TGV, même si cela participait à le rendre inaccessible, permettait de financer d’autres lignes et de les faire exister.
Or, l’arrivée des entreprises extérieures va forcer la SNCF à faire baisser le prix des billets sur les lignes très fréquentées, déjà rentables, tout en contraignant la tenue de certains tracés trop peu fréquentés, où les autres entreprises ne s’implanteront pas faute de rentabilité. Cela risque donc de grandement améliorer la perception du ferroviaire, tout en le rendant plus fragile par ailleurs : la situation sera alors bien différente et, si les missions non-rentables ne sont pas exploitées avec un accompagnement suffisant de la part des puissances régionales et nationales pour qu’elles soient maintenues, elles ne pourront probablement pas être maintenues, dès lors que la SNCF n’aura plus la capacité de se servir de ses lignes fortes pour compenser les pertes sur ses lignes faibles.
Le meurtre de la SNCF
C’est la raison pour laquelle on a vu, dans les dernières années, nombre de situations dans lesquelles la SNCF change son attitude : c’est notamment ce que semble montrer la hausse progressive des tarifs sur les lignes les moins fréquentées, pour anticiper le trou dans les comptes de l’entreprise de transport. C’est également cette crainte qui avait en partie motivé la SNCF à fermer un certain nombre de lignes il y a de cela quelques années : défendant déjà la rentabilité, c’est en réalité des lignes devenues trop chères et surtout de moins en moins entretenues (au point de limiter la vitesse des trains à 20 kilomètres à l’heure par endroit, pour des raisons de sécurité) qui ont peu à peu été poussées vers le précipice par l’entreprise, comme s’accordaient à le dire les experts à l’époque.
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