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Et si emlyon préfigurait le futur des écoles de commerce ?

L’emlyon business school se prépare à initier un changement d’ampleur inédite à l’échelle française et si ce n’est mondiale : celui de devenir la première école aussi prestigieuse à suivre la voie de la privatisation en se transformant en société anonyme (SA).

Le mouvement a été entériné en août 2018 avec la création d’early makers group, une SA au capital de 50 000€ qui détient la majorité des structures commerciales du groupe, à savoir la SCI EMLYON 2022 qui porte le projet immobilier à Gerland, la SAS qui héberge la formation continue qui s’intitule le Centre pour le Développement du Management Entrepreneurial – CDME, une entité créée en 2004 et qui a réalisé 16 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017 (contre 12,6 en 2016) et qui détient également les filiales basées à Genève et Hong-Kong, ainsi qu’une partie de l’association qui détient la formation initiale (AESCRA – Association de l’enseignement supérieur commercial Rhône-Alpes).

Si la CCI de Paris-Ile-de-France engage un mouvement similaire avec ses Grandes Ecoles parisiennes, en espérant une valorisation de près de 2 milliards d’euros, celle d’early makers group se situerait « autour d’une année d’activité, à 112-115 millions d’euros » pour Bernard Belletante, président du Directoire. Il tient également à rappeler qu’à son arrivée, l’école affichait un résultat net de -2 millions d’euros (avec 7 millions de subventions) contre +5,5 millions d’euros (avec des subventions réduites presque à néant) pour cette année 2018. Étant donné les multiples de valorisation en vigueur dans le secteur (10 à 15 fois l’EBITDA), cette valorisation apparaît cohérente, voire prudente lorsque l’on observe la croissance de la rentabilité de l’institution.

C’est dans ce cadre que Bernard Belletante confie son siège à Tawhid Chtioui, qu’il juge comme étant « un pur développeur » qui a fait « un travail exceptionnel au Maroc », où il dirigeait la filiale africaine de l’école. Quant à son futur rôle : « Je prendrai la vice-présidence en charge de la stratégie de l’école. Au CoMex je serai en charge des projets immobiliers. […] Il s’agit d’un passage de témoin voulu, accompagné dans le temps pour ne pas mettre en difficulté l’organisation, avec la volonté de mettre au board de l’école un ancien DG qui continuera à accompagner le développement stratégique de façon à faciliter le travail du président du Directoire. »

 

Qui seront les nouveaux actionnaires de cette SA ?

Bernard Belletante a partagé une inquiétude : celle de l’absence de structures éducatives d’échelle nationale au sein des territoires, dont il rappelle que le délaissement nourrit la frustration du mouvement des « Gilets Jaunes ». Son objectif est de créer un pôle régional d’envergure face aux écoles parisiennes, aux écoles fusionnées « qui se parisiannisent » ou encore aux grands groupes privés, dont le siège demeure à Paris.

Son implantation sera définitivement lyonnaise : « L’écosystème emlyon doit se retrouver dans ce que doit être un immense hub. »

S’inspirant de la stratégie suivie par Jean-Michel Aulas avec la construction du Groupama Stadium, exploité par OL Groupe, Bernard Belletante affirme vouloir centrer l’activité de l’école autour d’un lieu de rencontre, d’échanges qui pourrait aussi bien servir aux étudiants qu’aux entreprises. Or, cela a un coût très important : « Après nous avoir aidés à hauteur de 100 millions d’euros sur les quinze dernières années […] La CCI n’est plus en mesure d’aider à accélérer l’école. […] Si on veut garder en ARA (Auvergne-Rhône-Alpes) une structure d’éducation au business, et non seulement au management, il faut qu’on soit prêt à chercher des capitaux ailleurs. […] La seule possibilité de trouver des fonds propres est de trouver des investisseurs. Nous avons transformé la structure juridique de l’école en mettant une SA en ombrelle sur l’ensemble de l’activité. Dans les 18 mois à 2 ans qui viennent, emlyon verra sa gouvernance bouger. Pour la CCI, disposer d’une minorité de blocage suffit très bien. »

Cette recherche de capitaux implique une transformation en profondeur de la structure capitalistique de l’entreprise early makers groupe. Il décrit la typologie d’actionnaires suivante :

 

Premièrement, l’actionnaire de référence : il s’agit de celui qui se porte garant du sens et des valeurs de l’école. Aujourd’hui, ce rôle est occupé par la CCI de Lyon, majoritaire. « Est-ce que la CCI de Lyon peut dire que le siège social doit être maintenu à Lyon ? Oui. Est-ce que la BPI peut refuser la présence de capitaux étrangers ? Oui, en aidant à trouver d’autres exemples»

Suivent les actionnaires d’engagement : le capital sera ouvert aux alumni dans la mesure où « ils portent leur vision de l’école ainsi qu’un patrimoine important qu’est leur capital notoriété ». Afin d’ancrer l’engagement de l’école à servir toutes ses parties prenantes, le personnel de l’école sera également actionnaire : « Ils ont plutôt bien accepté l’ouverture du capital. » Le capital leur sera affecté à hauteur de maximum 10%. Les alumni pourront faire leur entrée au capital en dilution des titres de la chambre ou bien en les rachetant.

Ensuite, viennent ceux qui s’engagent à financer le développement de l’école : les actionnaires de croissance. L’horizon d’investissement souhaité par l’école est à moyen et long-terme, ce qui exclut de fait les fonds qui se financent par dette, notamment ceux adeptes des LBO.

Bernard Belletante insiste également sur le respect de la triple-accréditation : « Si je ne l’ai plus, j’améliore considérablement la rentabilité de l’école. » Cela implique leur acceptation de la structure du compte de résultat avec un EBITDA à 7-8% au lieu de 25%. Ces actionnaires de croissance devront également ne pas vouloir disposer de dividendes de l’institution : ils se rémunèreront sur la valeur prise par l’école au cours des 15 à 20 prochaines années, de manière à « fédérer croissance et engagement » autour d’un pacte d’actionnaires.

On devine aisément que les family offices constituent le type d’investisseur idéal pour l’école : ces structures financières gèrent des fortunes familiales avec une vision de long-terme… et s’intéressent au secteur de l’enseignement supérieur. En avril 2018, Thétys Invest, le puissant holding de la famille Bettencourt Meyers, héritière de L’Oréal, a acquis 20% du groupe Galileo, à une valorisation qui avoisinerait le milliard d’euros.

Enfin viennent les actionnaires d’enracinement, à savoir quelques grandes entreprises qui ont leur siège social dans la région et qui font partie de l’écosystème emlyon. On peut ici imaginer des entreprises fortement implantées dans le tissu local telles que SEB, BioMérieux ou encore GL Events.

Le maintien de l’Association de l’enseignement supérieur commercial Rhône-Alpes (AESCRA), qui porte actuellement la majeure partie des activités de l’école, n’est pas encore tranché dans la mesure où cette structure associative permet d’émettre des reçus fiscaux lors d’appels de fonds.

 

Quelles futures implantations pour l’école ?

A Lyon

Malgré les récents travaux effectués au sein des locaux écullois, l’école déménagera en 2022 à Gerland, à Lyon intra-muros : « On avait envie de revenir dans la Cité, de vivre dans la Cité […] d’être reconnectés au métro et à l’aéroport. »

Annoncée en février à 90 millions d’euros, cette implantation aura un budget de 100 à 120 millions d’euros. L’école sera propriétaire de son projet immobilier qu’elle entend inscrire dans le temps long : « Le hub pour 2022, je le construis pour 50 ans […] L’agilité doit permettre de passer du temps court au temps long. […] Gerland 2022, ce n’est pas un endroit où on ne prend que des cours. On veut faire comme ce qu’un club de foot fait avec son stade. »

 

En France

L’école a inauguré son campus parisien il y a plus de deux ans. Elle avait également récupéré l’ESC Saint-Etienne fin 2012 après que l’école a perdu son grade de Master afin de le transformer en campus Bachelor. Interrogé sur le cas de la fusion avec Grenoble EM et l’ESC Clermont, qui faisait les gros titres de la presse spécialisée en 2017, Bernard Belletante pointe la nécessité de s’accorder sur une marque commune en s’appuyant sur ce qu’il a réalisé par le passé, à savoir l’implantation de marques à puissance nationale au sein de métropoles d’envergure régionales. Les marques Euromed puis KEDGE avaient effectivement pris pied à Bastia, Toulon, Avignon ou encore Bayonne : « Nous avons maintenu dans des territoires une activité visée de dimension nationale en leur ayant fait bénéficier de la puissance d’une marque. Personne ne peut me dire que j’ai fermé un campus quelque part. »

« Les fusions et mariages d’écoles marchent quand cela va vite et qu’une marque commune a été défendue. Nous avons eu trois grandes expériences : SKEMA, KEDGE et NEOMA. Il s’agissait d’écoles de milieu de tableau, aux marques peu solides. La création d’une nouvelle marque a dynamisé l’ensemble. Nous sommes dans un métier de notoriété. […] Nous refusons de rentrer dans une logique avec la cohabitation de trois marques, ce n’est pas cohérent. […] La difficulté est de savoir qui va garder son identité et sa marque ? Qui va porter la promesse qu’un groupe de cette taille-là peut faire ? C’est une décision politique. […] Si on peut travailler ensemble il faut le faire parce qu’on a un problème de taille. […] A Clermont-Ferrand, on veut maintenir le PGE… Je dis que s’il y a une logique, on pourrait faire des choses intelligentes autour de la mobilité durable et de la santé. Si on peut rassembler des forces en Auvergne-Rhône-Alpes, c’est oui, mais qui va porter la promesse ? »

 

Il affirme ainsi que les négociations avec Grenoble EM n’ont pas échoué mais qu’elles sont tout simplement interrompues. « Les évolutions financières de Grenoble et Clermont, je les connais, tout comme la mienne. Ce ne sont pas les mêmes. »

Pour emlyon, la dimension régionale de l’implantation de ses campus est primordiale : « N’existeront dans 10 ans que les écoles qui auront compris que l’ancrage dans les territoires est fondamental. On doit répondre aux enjeux sociétaux. » appuie Bernard Belletante.

 

A l’étranger

A l’international, emlyon business school entend poursuivre ses ouvertures de campus. L’école rhodanienne est présente en Inde depuis juillet 2018, au sein d’une université fondée par des Jésuites, après le travail très actif d’un diplômé : « on est jamais à l’abri d’un coup de bol » observe Bernard Belletante.

L’Amérique latine est en ligne de mire, à l’horizon 2023. Au Brésil, le président du Directoire l’affirme « qu’il n’y arrive pas. » La Colombie constitue une cible « intéressante », avec une population nombreuse, une certaine stabilité politique mais surtout l’existence d’une classe moyenne pouvant bénéficier de ces formations. Le Chili répond également à ces caractéristiques, avec une économie de taille similaire et un PIB par habitant 2,5 fois plus élevé.

Au nord du continent, l’école s’associe avec HEC Montréal, où elle y disposera de 200 mètres carrés. Il ne s’agit pas de disposer de campus en propre dans la mesure où l’école a déjà noué une cinquantaine d’accord avec des universités américaines, mais de remplir trois objectifs  :

  1. la gestion des partenariats internationaux avec les universités des États-Unis et du Canada ;
  2. l’administration du réseau de diplômés ;
  3. l’organisation des learning trips et d’executive education.

A l’étranger, emlyon désire pousser le modèle du VIE pour accompagner des ETI performantes, sur des aspects comme la digitalisation ou encore la globalisation, etc. L’école entend diversifier les débouchés des étudiants, à l’heure où les VIE sont plutôt prisés par les grandes banques. A cet égard, l’école vient de signer un partenariat avec Bpifrance :

 

Quel univers concurrentiel ?

Les autres écoles et universités

En France, emlyon entend bénéficier de la « parisianisation » des Grandes Ecoles. Il fait le constat que les écoles parisiennes (HEC, ESSEC et ESCP) dominent le palmarès, qu’il s’agit du lieu choisi par des « acteurs disruptifs » tels que l’école 42 ou encore le groupe INSEEC, qui se développe fortement, et où des écoles comme SKEMA ou NEOMA investissent des ressources importantes : « A ce rythme, il ne restera plus rien en région et en province » explique Bernard Belletante, qui n’hésite pas à faire un parallèle avec le mouvement des Gilets Jaunes, qui se sentent délaissés. S’il a également ouvert un campus parisien en 2016, il affirme que celui-ci n’a pas vocation à devenir central. Le siège demeurera au sein de la Capitale des Gaules.

Interrogé sur l’absence d’écoles de même structures dans les palmarès internationaux, Bernard Belletante n’hésite pas à affirmer : « Ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas qu’il ne faut pas le faire. […] Face à l’immobilisme, je décide de prendre des risques. »

A l’horizon dix ans, il perçoit comme étant ses concurrents des écoles dont le budget oscillerait autour de 300 millions d’euros et dont l’immobilier serait réparti dans le monde entier. Il confesse appartenir au bas du top 20 européen au niveau de Rotterdam Business School ou Stockholm Business School et désire progresser pour figurer juste derrière le groupe d’élite européen.

 

Une remise en cause du modèle même de business school

Mais cette concurrence se composera également d’autres types d’acteurs. Tawhid Chtioui le confesse : « Demain, je me battrai contre LinkedIn Learning. » Interrogé sur le développement d’entreprises de formation telles qu’OpenClassRooms, Bernard Belletante « Notre positionnement early makers n’est plus seulement sur la délivrance de contenus, ce que fera bien mieux OpenClassRooms. […] On travaille sur les postures, l’individu, l’action. […] On créé de la recherche avec une ethnoschool, dont l’objet est l’observation des Hommes au travail. […] Il y a une place à prendre pour développer les compétences d’action des femmes et des hommes des entreprises de demain. »

« Nous sommes persuadés que les écoles de management vont disparaître. Elles sont apparues au moment du creux dans l’histoire des sciences, dans les années 50. […] Puis dans les années 1960/1970, on a cru être indépendants des sciences, grave erreur. […] Le management pur existera de moins en moins, c’est du traitement de données et le computational power, la blockchain tuera l’expertise comptable, la veille juridique. […] L’intelligence artificielle est au cerveau ce que la pelleteuse est à la main. Le manager pur n’existera plus, il faut mettre en exergue son intelligence émotionnelle, ses capacités à négocier, à tester, à emmener des équipes, à mobiliser l’intelligence collective, qui le différencient de l’intelligence artificielle. »

Face à ces risques, Bernard Belletante entend positionner emlyon sur la business mediation, expression qu’il affirme fortement apprécier. Il entend ainsi utiliser une logique de projets, quitte à abandonner le paradigme des frais de scolarité à l’année et à mettre en place une facturation en fonction des modules et de l’accompagnement recommandé. Bref, des frais de scolarité à la tête du client, comme nous l’envisagions il y a quelques temps.

Mais quels seraient les critères afin de mesurer le succès de telles transformations ? Bernard Belletante entend s’appuyer sur trois critères : le taux d’employabilité, puis le type de métiers et enfin le salaire. Sur ce dernier point, il dénonce cependant le traitement de ce critère ô combien important pour le classement par les recruteurs : « Certaines écoles disent aux étudiants de déclarer le salaire charges comprises car il s’agit de savoir ce que ça coûte à l’employeur… »

Et si emlyon préfigurait le futur des écoles de commerce ?

 

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