Sur les différents sites d’information nationaux, le coronavirus et son impact sont souvent considérés sous un prisme très français, voire européen. S’il est important d’évoquer la situation au sein de l’Hexagone, les grandes universités américaines vont également beaucoup souffrir de cette crise du coronavirus et de sa mauvaise gestion par l’administration Trump.
Aux États-Unis, les universités préparent leur rentrée ; une rentrée qui sera totalement inédite. Si la crise a un impact immédiat, les effets sur les établissements d’enseignement supérieur se verront surtout sur le long terme. Et les enjeux sont majeurs : attirer des étudiants locaux et internationaux, faire respecter la distanciation sociale dans les salles de classe, gérer les problématiques de diversité, etc.
La grande interrogation des universités américaines est la même que celles des Grandes Écoles en France : comment se comporteront les étudiants internationaux ? Si certains établissements, en France, ne constatent pas d’énorme baisse pour l’instant, les enjeux sont autrement plus importants outre-Atlantique.
En effet, prenons le cas des étudiants chinois qui venant étudier aux États-Unis, qui représentent la grande majorité des élèves étrangers. À elle seule, cette population permet aux universités américaines d’engranger 15 milliards de dollars, uniquement en frais de scolarité. Aujourd’hui, les établissements d’enseignement supérieur redoutent une chute drastique du nombre d’élèves d’origine chinoise, des doutes qui semblent se confirmer puisque les inscriptions ont commencé à baisser depuis la Chine.
La crise sanitaire liée au coronavirus a non seulement obligé de nombreux pays à fermer leurs frontières aux étrangers, comme l’a fait l’Empire du Milieu, mais va modifier en profondeur le comportement des individus. Auront-ils envie de se déplacer ou de voyager dans quelques mois ? Pourront-ils le faire ? Pourront-ils obtenir leur visa ? Cette inquiétude est déjà très prégnante en France, puisque les Grandes Écoles ont écrit aux ministères concernés pour leur demander d’agir sur cette question. De plus, de nombreux États ont déjà pris des mesures interdisant la vente de billets d’avion pour les vols domestiques et internationaux. C’est notamment le cas du Pérou, de la Colombie et même de l’Argentine, qui ont décidé de prolonger cette interdiction jusqu’à début septembre. Une autre source de provenance d’étudiants se tarit donc avec la fermeture progressive de l’Amérique du Sud.
Lire aussi : Coronavirus & Grandes Écoles : comment ont-elles géré la crise ?
Les élèves américains abandonnés
Si les problématiques liées à la venue d’étudiants étrangers sont immédiates, cette crise n’impactera pas que le recrutement des élèves de cette promotion, mais également les générations à venir. La racine du problème ne se trouve pas uniquement du côté des universités, mais bien en amont, dès l’école primaire.
En effet, les jeunes générations vont souffrir d’une crise qui va nécessairement impliquer quelques coupes budgétaires. C’est déjà une réalité, puisque l’État de New York a estimé que le manque à gagner à cause de la pandémie mondiale avoisinerait les 10 milliards de dollars. Ainsi, l’administration a incité les écoles à réaliser d’importantes économies pour les années à venir.
Si ces coupes concernent majoritairement les établissements publics, cela pose problème pour les futurs recrutements au sein des universités américaines. Celles qui sont déjà pointées du doigt pour des recrutements qui ne font pas la part belle à la diversité seront confrontées encore plus violemment à cette problématique d’ici quelques années, puisque les élèves qui sont en primaire actuellement et dont les revenus sont plus modestes, ne pouvant pas se payer un ordinateur pour pouvoir suivre les cours à distance, sont totalement abandonnés par le système. La fracture sociale s’agrandit.
Ces problèmes de diversité sont encore plus flagrants quand on sait qu’à Atlanta, près de 10% des enfants scolarisés ne se sont pas connectés une seule fois au dispositif d’apprentissage à distance, leur permettant de suivre les cours qui auraient dû être dispensés en classe. À Philadelphie, les professeurs sont même encouragés à ne pas dispenser de nouveaux cours, pour ne pas désavantager ceux qui ne disposent pas d’ordinateur. Certaines écoles primaires imaginent ainsi rattraper ces cours durant l’été, comme c’est notamment le cas à Cleveland. C’est néanmoins une hypothèse qui semble de moins en moins plausible.
Rentrée 2020 : un accueil des étudiants compliqué
Les effets de cette crise sur les recrutements en université ne se verront que dans une dizaine d’années et les chantiers immédiats sont tellement prenants que les établissements d’enseignement supérieur ne peuvent pas se saisir de ces problématiques qu’elles ne verront pas venir avant longtemps.
Le premier chantier qui pose problème aux universités américaines : le retour en classe dès le mois d’août. La crise, mal gérée par l’administration Trump, qui déconfine la population seulement quelques semaines après la mise en place d’un confinement qui n’a pas porté ses fruits, laisse dubitatifs les établissements d’enseignement supérieur. Ces derniers ont en effet du mal à imaginer une rentrée normale dans seulement trois mois, puisque les étudiants américains entrent en août généralement.
Pourtant, il est important de noter que la plupart des universités américaines attend avec impatience le retour des étudiants dans les salles de classes. Interrogés par les médias étrangers, à l’image du Washington Post, les étudiants sont également très nombreux à dire qu’ils n’ont qu’une envie : retourner en cours. Ces apprenants sont souvent désabusés face à la mise en place d’un enseignement à distance de mauvaise qualité.
Cependant, les professeurs ne sont pas totalement prêts à reprendre le chemin des universités. Leurs syndicats les incitent d’ailleurs à ne pas retourner en classe.
La distanciation sociale est également LE gros sujet de cette rentrée. À Dallas, étant donné qu’on ne pourra pas accueillir tout le monde dans des salles distinctes, on imagine faire venir certains étudiants le lundi et le mercredi et d’autres le mardi et le jeudi. Tout le monde se verra dispensé des cours à distance le vendredi. Le Montana se penche également sur un mix entre distanciel et présentiel pour tous.
À ces problématiques s’ajoutent l’inquiétude des parents, des étudiants, des professeurs, de l’administration et la peur de devoir faire face, dans quelques mois, à des procès émanant de personnes contaminées. Sachant que certains établissements sont actuellement en plein tourment juridique, la possibilité de voir les ennuis s’accumuler les rend réticents à ouvrir leurs portes en août.
Comme on l’a vu avec le cas Harvard, les étudiants de toutes les universités américaines ont demandé à leur établissement de rembourser tout ou partie des frais de scolarité suite à la mise en place des cours à distance. La plupart d’entre eux jugent que la qualité des programmes s’est dégradée en passant au 100% online. Certains ont même décidé de traîner en justice leur université. C’est le cas pour Drexel University (Philadelphie), qui est loin d’être le seul établissement poursuivi par les étudiants. Les élèves de UC Berkeley se plaignent de professeurs qui « se content de mettre en ligne des devoirs », sans dispenser de cours via vidéo ou délivrer les quelques éléments de contextes nécessaires pour réaliser ces travaux.
De nombreux cabinets d’avocats défendent le fait que les étudiants sont en droit de réclamer un remboursement à des universités qui offrent une expérience plus qu’un simple programme. Les sportifs de haut niveau (qui sont très appréciés par les établissements américains), tout comme les ingénieurs, ont besoin de se rendre physiquement sur les campus pour s’entraîner ou plancher sur leurs projets. Mais si les procès donnent raison aux plaignants, cela pourrait avoir un réel effet délétère sur la trésorerie d’universités qui sont déjà en train d’évaluer les pertes dues aux inscriptions en baisse, une baisse estimée à 15% environ, voire 20% pour certaines d’entre elles. De plus, ces pertes viennent impacter des établissements à qui on demande déjà de réaliser des coupes budgétaires.
D’autres étudiants jugent qu’il est peut-être plus prudent d’abandonner les cours pour l’année prochaine, par peur de ne pas pouvoir profiter de l’expérience universitaire américaine dans son intégralité, ne voulant pas passer toute une année scolaire sur le même modèle que ces dernières semaines. De plus, la situation financière des étudiants et de leur famille peut faire craindre une baisse des inscriptions l’année prochaine. Encore une fois, c’est un manque à gagner pour les universités, mais cette décision creuse toujours plus le gap entre riches et foyers modestes.
Le Covid-19 aura peut-être comme effet de réduire grandement le nombre d’établissements supérieurs dans le pays, favorisant ceux qui disposent de fonds de dotation importants comme Harvard, mais qui sont plus inaccessibles. Aujourd’hui, si les universités américaines ne sont pas aidées par le gouvernement face à cette crise du coronavirus, le fossé se creusera encore plus entre populations pauvres, ne pouvant se payer les universités aux frais de scolarité exorbitants qui ont su subsister à la crise et ne pourront accéder à des établissements plus modestes qui n’existeront plus car voués à mourir. Alors que le plan de relance américain dédie environ 13,5 milliards de dollars à l’éducation, les établissements et les États estiment que l’enveloppe devrait avoisiner les 200 milliards pour permettre à ce secteur de s’en sortir.
L’accompagnement financier des universités aux États-Unis n’est plus qu’une question de survie, mais c’est aussi un réel enjeu éducatif qui pourrait avoir des effets dévastateurs sur l’ascenseur social, sur la diversité sociale dans les entreprises, mais aussi sur l’économie du pays qui ne pourrait survire avec une population moins éduquée.