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Pourquoi personne n’est en école pour les cours

Qui n’a jamais été tenté de s’échapper de la salle de classe pendant la pause ? Qui n’a jamais été sur Facebook en cours magistral ? Qui n’a jamais oublié de faire ses exercices pour la séance de TD ? Si vous pouvez répondre « moi » en toute honnêteté à chacune de ces questions, alors bravo pour votre sérieux … mais aussi tant pis pour vous. Et nous allons vous expliquer pourquoi.

Ne vous a-t-il jamais semblé étrange que des élèves qui ont passé deux ou trois ans à étudier sans relâche une douzaine d’heures par jour deviennent, dès l’entrée en ESC, des fêtards adeptes du « moins j’en fais, mieux je me porte », et ce sous le regard passif de l’administration de leur école ?

La question a en tout cas interpelé Yves-Marie Abraham, qui y a consacré une enquête intitulée : « Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir un HEC ».

Les conclusions de cette observation sont sans appel : HEC, et les ESC en général, transforment bel et bien les ex-premiers de la classe en futurs cadres … mais à quel prix ?

 

 

L’ESC, une école pas si scolaire

 

L’école de commerce : entre le scolaire et le managérial

Le développement des écoles de commerce au cours du XXè siècle répondait à la fois au besoin croissant de commerciaux et de managers pour le domaine privé, et à la demande de consécration scolaire pour leur progéniture formulée par la bourgeoisie d’affaires. Les ESC se veulent donc un juste mélange entre le domaine universitaire, auquel elles revendiquent leur appartenance, et celui de l’entreprise, auquel elles sont censées préparer. Or, il y a a priori un grand écart entre les matières dites nobles d’un point de vue académique et les connaissances pratiques nécessaires dans le monde du travail. En voulant se situer à mi-parcours entre deux catégories bien distinctes, l’école de commerce s’expose donc à la double critique de l’homo academicus (qui par exemple trouve la comptabilité financière bien trop terre-à-terre) et de l’homo oeconomicus (qui de son côté pense qu’un enseignement trop théorique ne peut préparer efficacement à la réalité de terrain).

 

Des étudiants entre deux extrêmes

Cette position ambivalente semble toutefois quasi logique lorsqu’on prend en compte le profil des étudiants en école de commerce. Effectivement, comme le remarque Pierre Bourdieu, la plupart des élèves d’HEC (et d’ESC par extension) sont issus de familles à fort capital économique. Ces étudiants sont donc « conduits à se ranger du côté de l’intelligence, de la pensée, du désintéressement […] lorsqu’ils se pensent […] par rapport au « peuple », mais se situent – ou sont renvoyés – du côté de la force, de l’action, […] du pragmatisme […] lorsqu’ils se pensent par rapport aux intellectuels ou aux artistes » (La noblesse d’Etat : grandes écoles et esprit de corps, 1989). Pour le dire de manière très caricaturale, l’élève d’ESC se voit donc comme supérieur intellectuellement à la moyenne de la population, mais sans tomber dans le côté « perché » du normalien.

 

Un habitus scolaire nécessaire pour entrer mais dont il faut désormais se détacher

La réponse à notre interrogation initiale réside sûrement là. Les ESC permettent une scolarité de haut niveau (en termes de durée d’études, de prestige, de débouchés, …), tout en préparant ses étudiants à un univers où le sens pratique est indispensable, et les valeurs purement scolaires dépassées. L’excellence académique des élèves intégrés n’étant plus à prouver, le concours d’entrée restant extrêmement théorique (cf le coefficient accordé aux mathématiques par exemple), ces étudiants doivent donc désormais se départir de leur habitus scolaire pour mieux intégrer les codes de l’entreprise, qui en sont radicalement éloignés. La preuve la plus flagrante de la distance prise par les ESC vis-à-vis du monde universitaire est l’importance donnée aux stages dans la formation : la plupart de ces écoles préconisent de faire une année de césure, reconnaissant par là même que l’essentiel ne se passe pas (que) dans les salles de classe.

 

 

Or le détachement vis-à-vis des valeurs scolaires n’est pas toujours aisé

 

Le fonctionnement même des écoles ne pousse pas à l’exigence intellectuelle

En intégrant, l’étudiant d’ESC a très vite l’impression d’être « arrivé ». En effet, son classement pendant l’année n’influencera que son affectation dans une université étrangère et éventuellement son choix de majeure -selon les écoles-, ce qui finalement aura toujours moins d’importance en entretien de recrutement qu’un choix de parcours cohérent et des expériences professionnalisantes. En somme, le diplôme final est le même pour tous, du polar qui cumule les A au fêtard qui frôle les rattrapages.

De plus, l’administration autorise voire soutient des activités qui n’ont rien de scolaires : soirées, campagnes, … Il s’agit finalement de « jouer au manager » par le biais des associations, au même titre que le permettent les études de cas en cours.

 

Les enseignants rentrent dans le jeu

Selon l’auteur, on peut même dire que les enseignants sont complices du laxisme ambiant ; désireux de voir leur contrat se prolonger ou simplement trop occupés par leurs travaux de recherche pour se permettre de perdre du temps à essayer de restaurer un semblant de discipline, les chargés de cours et jeunes professeurs ferment les yeux sur le manque d’implication de leurs élèves, suivant le principe du « vivre et laisser vivre » (Robert Axelrod). Citons ici Yves-Marie Abraham : « Ce mode de coopération implicite entre tranchées ennemies pendant la Grande Guerre consistait à faire semblant de se battre, dans l’intérêt immédiat de chacun. Ici, il s’agit de faire semblant d’être dans une école d’enseignement supérieur, en s’efforçant tout au plus de sauver les apparences. »

 

Des inégalités au sein même de « la noblesse d’Etat »

Pour autant, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne dans ce grand simulacre. Si les « héritiers », souvent issus de familles de cadres supérieurs parisiens, s’investissent massivement dans les associations les plus visibles et retirent le maximum de leur passage à HEC, l’étude d’Abraham montre qu’en revanche, les « égarés » (qu’on appellerait aussi des « nobod’ ») restent solidement accrochés à leur habitus scolaire et peinent donc à s’intégrer. Entre ces deux extrêmes, les « reconvertis », ces élèves sérieux mais pas polars, qui n’hésitent pas à s’échapper régulièrement du microcosme de Jouy-en-Josas, et les « dévots », éléments sur-investis dans la vie associative au détriment de leur cursus académique, représentent des profils qui réussissent plus ou moins à s’épanouir. Bref, ceux qui exploitent le plus leur formation en ESC sont ceux qui savent se détacher du « souci scolaire ».

 

En conclusion, que nous reste-t-il de ces années en ESC une fois cette période derrière nous ? Le fameux « réseau », des expériences professionnelles et associatives fortes, un CV bien rempli ? Je citerai ici un article de La Relève et la Peste inspiré de la même étude d’Abraham : « L’homo academicus a disparu, et avec lui la promesse d’avoir des dirigeants d’entreprise et des cadres supérieurs capables de prendre du recul sur le monde dans lequel ils évoluent. »

 

Sources :

L’étude « Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir un HEC »

HEC, apprendre à désapprendre

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